Un déni systématique et grossier de la torture
À ce jour, en République du Congo, aucune disposition législative ou réglementaire ne définit la torture. Depuis 2008, les autorités congolaises promettent à la communauté internationale une révision des Code pénal et Code de procédure pénale qui, justement, mettrait un terme à ce manquement. D’ailleurs, une commission interministérielle travaille sur le sujet depuis sept ans… Promettre ne veut pas dire agir ni changer !
Victimes, lieux et buts de la torture
Au Congo, la torture est courante dans les postes de police et au sein des prisons. Elle commence dès l’interpellation pour punir et/ou extorquer des aveux. La plupart des victimes de torture sont des jeunes hommes, pauvres, soupçonnés de délits de droit commun. Les policiers ne connaissent bien souvent que la torture comme méthode d’enquête. La guerre civile de 1997 à 1999 a laissé des cicatrices incommensurables dans la nouvelle composition de l’administration publique. À la fin du conflit, les « guerriers » du président actuel, Denis Sassou Nguesso ont été en grande partie recyclés dans l’appareil policier. Il fallait bien les remercier pour leurs services rendus durant la guerre civile ! Dépourvus de toute formation à l’exercice de la fonction de policier, ces ex-guerriers utilisent leurs connaissances, à savoir la violence, pour remplir leur nouvelle fonction. Pour obtenir des aveux et faire parler, quoi de plus simple que la torture ? D’ailleurs combien d’entre eux connaissent la Convention contre la torture ?
23 pages et 10 ans de retard
En janvier 2015, l’Observatoire congolais des droits de l’homme (OCDH) a rendu public son rapport annuel. L’OCDH y présente une vingtaine d’affaires de torture, documentées et traitées par l’association entre 2013 et 2014. Monsieur Joseph Nkundimana, ressortissant rwandais, a, par exemple, été torturé en 2014 au moment de son arrestation à Brazzaville. Il a également subi des violences dans le véhicule de police l’amenant au commissariat. Le parquet et les autorités policières ont été saisis par l’OCDH. Ils n’ont rien fait… En avril 2015, le Comité contre la torture des Nations unies a examiné, à Genève, durant deux jours, la situation de la torture en République du Congo. À cette occasion, les autorités congolaises ont remis leur rapport initial avec 10 ans de retard : un rapport minimaliste de 23 pages qui n’apporte aucune donnée statistique ni illustration concrète de ce que les autorités congolaises font pour lutter contre la torture dans leur pays. Difficile de faire croire quand on ne fait rien ! Les autorités congolaises indiquent, dans ce rapport, qu’au niveau de la force publique, « de moins en moins de cas de torture sont signalés ». Ces dernières années, l’ACAT-France a, au contraire, accru ses courriers de signalement d’actes de torture auprès des autorités congolaises et internationales sur la base d’informations précises venant d’ONG congolaises. D’ailleurs, le Comité contre la torture n’a pas manqué de faire état, en avril 2015, de ses vives préoccupations en ce qui concerne les « nombreuses allégations de torture et de mauvais traitements pratiqués dans la plupart des lieux de détention du pays ».
De nombreuses plaintes restées sans suite, des tortionnaires rarement sanctionnés
Selon les autorités congolaises, lorsque des cas de torture sont signalés, des sanctions sont prises à l’encontre de leurs auteurs. Pourtant, aucune des affaires de tortures documentées par l’OCDH n’a fait l’objet de procès. Les plaintes déposées par les victimes ou leurs familles n’ont fait l’objet d’aucune enquête judiciaire poussée et les auteurs des actes de torture n’ont jamais été jugés, au mieux juste sanctionnés administrativement. Messieurs Jean Carate Kouloukoulou et Rock Inzonzi ont été torturés par des militaires en 2011 sur les ordres d’un colonel de l’armée pour une affaire privée. Ils ont été passés à tabac, ont dû avaler de l’huile de moteur et ont été enterrés jusqu’à la tête. La plainte déposée au Tribunal de grande instance de Brazzaville est restée sans suite, malgré de nombreuses relances de l’OCDH. Les auteurs des actes de torture étaient pourtant bien identifiés. Antoine Moungoto a, quant à lui, été torturé à mort par des policiers en juillet 2013 dans la localité de Mongo. La plainte déposée par sa famille est restée sans suite. Les policiers, présumés auteurs de la mort d’Antoine Moungoto, ont été simplement affectés dans d’autres localités du pays. « Circulez, il n’y a rien à voir » !
Morts pour avoir vendu des vidéos
Les autorités congolaises ne font réellement rien pour endiguer la torture dans le pays et ce, depuis des décennies. Il n’existe aucune volonté politique au sein de la présidence de la République et donc au sein du gouvernement et de l’administration publique, pour mettre un terme à ces violences qui, depuis quelques mois, touchent également les sympathisants de l’opposition. Récemment, à Pointe-Noire, ville côtière située au bord de l’océan Atlantique, trois jeunes hommes sont morts en détention, vraisemblablement des suites de torture. Ils avaient eu le malheur de vendre des CD vidéo considérés comme « offense au chef de l’État et incitation à la révolte ». Dans ces CD vidéo, des Congolais installés en France prenaient position en faveur de la non-modification de la Constitution congolaise ; modification que le président Denis Sassou Nguesso essaye d’obtenir afin de lever deux obstacles rédhibitoires à sa future candidature à la présidentielle de 2016 : la limite d’âge et de mandats.
Âgé de 72 ans, Denis Sassou Nguesso tient son pays d’une main de fer depuis 1997, après l’avoir dirigé de 1979 à 1992. Il souhaite garder le pouvoir - comme nombre de ses pairs présidents à vie - et, à cet effet, a besoin de ses policiers et de ses militaires afin de pouvoir mater toute éventuelle contestation de la jeunesse et de l’opposition dans les rues. Alors, juger et sanctionner les policiers auteurs de torture, dont certains sont des anciens guerriers de 1997, il n’en est pas question ! La survie de son régime s’appuie en partie sur l’impunité et la violence. Pourquoi y mettre un terme ?
Clément Boursin, responsable Afrique à l'ACAT / @ClementBoursin