Torture sexuelle au Mexique : briser le silence !
332 %. C’est l’augmentation effarante du nombre de plaintes pour torture, reçues par la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) du Mexique en 2016. Annoncé le 25 janvier dernier par le président de la Commission, ce chiffre est une preuve supplémentaire que la « guerre contre le crime organisé », menée dans le pays depuis dix ans, incite les forces de l’ordre à recourir massivement à la torture dans le cadre d’arrestations et de condamnations. En 2013, déjà, l’Institut national de statistique et de géographie (INEGI) faisait état de 12 110 faits de tortures et de mauvais traitements enregistrés en un an. Parmi les premières victimes de ces violations des droits de l’homme, les femmes : en 2013, toujours selon l’INEGI, elles étaient au moins 3 618 à alléguer des tortures et des mauvais traitements.
Outre les pratiques « habituelles » (insultes, coups, simulacre de noyade, asphyxie sous un sac plastique), elles sont la cible de tortures spécifiques, de nature sexuelle, précisément en raison de leur sexe. Par là même, les forces de sécurité rappellent et maintiennent un schéma sociétal, basé sur la domination patriarcale et le contrôle de leur corps. Ces tortures vont du viol, aux menaces de viol, en passant par des attouchements, l’introduction d’objet ou le déclenchement de décharges électriques dans les parties intimes. En 2008, le Rapporteur spécial de l’ONU sur la torture a rappelé que le viol et les violences sexuelles perpétrés par des agents publics, à leur instigation ou avec leur consentement, étaient constitutifs de torture et de mauvais traitements. Ces sévices ont un impact psychologique très profond et difficile à surmonter, particulièrement quand la victime se retrouve exclue, implicitement jugée fautive par ses proches.
Il est d’autant plus difficile pour les victimes de se reconstruire après ces traumatismes que l’impunité prévaut. Les autorités ont créé un Mécanisme de suivi des cas de torture sexuelle commis à l’encontre des femmes en septembre 2015, mais, comme pour bien d’autres institutions, c’est une coquille vide. Son seul objectif semble être de donner l’apparence d’une volonté politique. Dans le cadre de la campagne Rompiendo el Silencio, qui vise à lever le tabou et la honte qui pèsent sur les femmes abusées, créer une solidarité entre les victimes et exiger des poursuites contre les auteurs de torture, plusieurs ONG ont envoyé au Mécanisme les dossiers parfaitement documentés de trois femmes victimes de torture sexuelle. Non seulement l’institution n’a jamais répondu, mais elle semble exiger des preuves impossibles à produire pour établir la torture sexuelle. Pour mettre fin à ces violations, agir sur le terrain législatif pour rendre impossible toute forme de torture est également une nécessité. Mais le chemin à parcourir semble encore incertain : une Loi générale contre la torture est toujours en discussion au parlement mexicain, mais on ignore encore si le texte mentionnera enfin, sans ambigüité, qu’aucune preuve obtenue sous la torture ne peut être reçue par un tribunal.
Plusieurs cas soutenus par l'ACAT
Miriam Isaura López Vargas :
Le 2 février 2011, en Basse Californie, Miriam a été embarquée par des militaires après avoir déposé ses enfants à l’école. Détenue au secret pendant sept jours dans une caserne, elle a été frappée, soumise au simulacre de noyade, au sous-marin sec, aux électrochocs, violée à plusieurs reprises et menacée de violences sur ses proches. Après cela, elle a été transférée à Mexico sous arraigo (détention préalable à toute enquête et inculpation) pendant 80 jours, puis placée en détention préventive. Sans élément à charge contre elle, Miriam a été libérée le 1er septembre 2011. Le 14 décembre 2011, elle a porté plainte pour les sévices subis en détention. En septembre 2012, la CNDH a établi qu’elle avait bien été torturée. Pourtant, aucun de ses bourreaux n’a été poursuivi. Le 15 décembre 2016, date anniversaire de la plainte, 25 475 courriers internationaux de soutien à Miriam –dont ceux de sympathisants ACAT- ont été affichés devant le parquet fédéral pour mettre en évidence leur inaction (voir Acat agit page 20 ou 21). Dans la foulée, le cas de Miriam a été porté devant la Commission interaméricaine des droits de l’homme.
Verónica Razo Casales :
Elle et son frère ont été arrêtés le 8 juin 2011 à Mexico par des policiers fédéraux. Ils ont été menacés, frappés, électrocutés dans les parties génitales et soumis au simulacre de noyade. Vérónica a également été violée. Elle s’est retrouvée dans un tel état que ses bourreaux n’ont eu d’autre choix que de la conduire à l’hôpital. Verónica et son frère ont été contraints de se déclarer coupables d’enlèvements crapuleux. Ils ont ensuite été placés sous arraigo près de 60 jours, puis en détention préventive où ils se trouvent encore. En décembre 2015, lors d’un transfert vers une autre prison, Verónica et d’autres détenues ont été victimes de tortures, y compris d’ordre sexuel. Malgré les nombreuses plaintes et les dommages importants sur la santé de Verónica, aucune enquête sérieuse n’a été diligentée et elle est toujours emprisonnée. Le Mécanisme de suivi des cas de torture sexuelle commis à l’encontre des femmes, informé de longue date, n’a strictement rien fait. Les nombreux mots de soutien que Verónica a reçus des sympathisants de l’ACAT ces derniers mois l’ont beaucoup aidée à tenir.
Cristel Fabiola Piña Jasso :
Le 12 août 2013, Cristel et son époux, jeunes parents, ont été arrêtés par des policiers de l’État de Chihuahua. Ils ont été longuement torturés (privations, coups, décharges électriques, asphyxie), tour à tour et l’un devant l’autre. Cristel a également été victime de différents abus sexuels. Contrainte d’avouer des rackets, Cristel s’est rétractée et a dénoncé ses tortures devant le juge, lequel s’est contenté d’ordonner leur emprisonnement. Le couple a été acquitté le 10 novembre 2015, puis libéré le 2 décembre suivant. Le 2 août 2016, la Commission étatique des droits de l’homme (CEDH) de Chihuahua a fini par reconnaître la grande vraisemblance des tortures. Pourtant, les autorités n’ont toujours pas jugé bon d’ouvrir une enquête... Pendant ce temps Cristel et sa famille tentent de se reconstruire.