Quatre journalistes et leur chauffeur risquent la prison à vie pour une blague...
Agnès Ndirubusa, Christine Kamikazi, Egide Harerimana, Térence Mpozenzi et Adolphe Masabarakiza encourent une peine allant de 10 ans de prison à la perpétuité pour « complicité d’atteinte à la sécurité intérieure de l’État » devant le Tribunal de grande instance de Bubanza. Ils sont mis en cause pour une blague partagée en privé sur WhatsApp…
Le 30 décembre 2019, le substitut du procureur de Bubanza appuie son réquisitoire sur la base d’un message WhatsApp échangé le 22 octobre 2019 entre Agnès Ndirubusa, journaliste à Iwacu, et une tierce personne, dans lequel elle indique, sous forme d’humour noir, se rendre à Musigati pour « aider les rebelles ». Ce jour-là, vers les midis, quatre journalistes d’Iwacu – l’un des derniers groupe de presse indépendant du Burundi – et leur chauffeur sont envoyés par leur rédaction dans la région de Bubanza, située au nord-ouest de Bujumbura. La veille, un groupe rebelle, venu de la République démocratique du Congo (RDC), est venu affronter militairement des militaires burundais causant des morts de part et d’autre. Arrivés sur place, les journalistes d’Iwacu et leur chauffeur sont arrêtés sans avoir pu commencer leur travail de journaliste. Leurs téléphones sont confisqués et ils sont obligés de donner leurs codes d’accès.
Durant l’audience du 30 décembre, le ministère public – bien qu’incapable de produire des preuves montrant que les journalistes sont en contact avec les rebelles – insiste sur le message WhatsApp : « C’est un élément matériel prouvant la complicité des quatre journalistes d’Iwacu et leur chauffeur avec les rebelles ». Le ministère public omet de parler d’un autre message dans lequel la journaliste écrit « nous allons en découdre avec ces gens [les rebelles] qui veulent perturber la paix et les élections ». Pour Agnès Ndirubusa le message qui les incrimine est à placer au registre de l’humour noir.
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CONTEXTE
Iwacu, un média indépendant sous la pression du régime
Le groupe de presse Iwacu est l’un des derniers médias burundais à demeurer indépendant malgré les pressions des autorités en place pour contrôler l’information dans le pays. Depuis le début de la dernière crise politique majeure au Burundi, qui a débuté en avril 2015 lorsque le président Pierre Nkurunziza a décidé de se présenter à un troisième mandat d’affilé en violation des Accords de paix d’Arusha, de nombreux journalistes burundais ont été pris pour cibles dans le pays.
Après avoir été interrogé par la justice en décembre 2015, le fondateur et directeur d’Iwacu, Antoine Kaburahe, a fui le pays craignant pour sa sécurité. Depuis le 22 juillet 2016, le journaliste d’Iwacu Jean Bigirimana est porté disparu. Il aurait été arrêté par des agents du Service national de renseignements (SNR) dans la ville de Bugarama. Pour avoir fait des déclarations publiques au sujet de la disparition forcée de son mari, l’épouse de ce journaliste a reçu des menaces et a dû s’exiler à l’étranger. Nombre de journalistes indépendants et autres défenseurs des droits humains burundais en ont fait de même ces cinq dernières années.
Iwacu, un média qui résiste et défend son indépendance
Le 18 octobre 2019, le Conseil national de la communication (CNC) – organe régulateur des médias (dont l’indépendance vis-à-vis du régime est continuellement remise en question) – a convoqué une trentaine de responsables de médias burundais pour des « échanges sur un projet de code de conduite » préparé par le CNC. Après une courte présentation du « Code de conduite des médias et des journalistes en période électorale 2020 », dont ils prennent juste connaissance, les responsables des médias burundais sont invités à souscrire immédiatement à ce texte. Seuls deux médias refusent d’apposer leurs signatures sur le document : le groupe de presse Iwacu et la radio Isanganiro. Pour Nestor Bankumukunzi, président du CNC, ce code que les journalistes burundais « s’engagent à respecter en toute liberté », va s’appliquer à tous les médias, « signataires et non signataires ». Il est prévu que ce texte s’applique également aux journalistes étrangers qui seront accrédités pour couvrir les élections de 2020.