Prageeth Eknaligoda reçoit le Prix Engel-du Tertre de la Fondation ACAT
Ce lundi 4 décembre s’ouvre une semaine de mobilisation pour Sandya Eknaligoda. Le but : rencontrer les autorités et prendre la parole dans la presse pour faire la lumière sur un fléau qui touche toute la société sri-lankaise.
Les chiffres officiels ne sont pas connus, et pour cause : le gouvernement nie toute implication dans ce phénomène que le droit international appelle « disparition forcée ». Ce refus de reconnaissance est d’ailleurs une des conditions pour qualifier l’enlèvement d’une personne en « disparition forcée ».
Comment le droit international définit-il une « disparition forcée » ?
En savoir plus.
D’après la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées des Nations unies, trois critères doivent être retenus :
- la victime a été arrêtée, détenue, enlevée ou privée de sa liberté ;
- le responsable est un agent de l’État ou agir avec le consentement de l’État ;
- le sort de la victime est nié ou dissimulé.
Si elle constitue à elle seule une grave violation des droits humains, puisque la victime se trouve hors du cadre du droit, une disparition forcée l’expose en outre à toute une série d’abus : absence d’avocat et de procès équitable, risque de torture, voire à une exécution extra-judiciaire.
Souvent dirigées contre les membres de l’opposition, les disparitions forcées permettent de faire taire les voix critiques et de répandre la peur. Les proches des victimes sont eux aussi durement impactés. Ils subissent le manque d’information, une difficile ou une impossible réparation du préjudice, alors qu’ils sont exposés à des rumeurs, du harcèlement ou des menaces pour les inciter à ne pas porter plainte.
Au Sri Lanka, ce sont 60 000 à 100 000 personnes qui ont été victimes de disparitions forcées. La majorité des victimes, environ 65 000, a été enlevée au cours du conflit armée qui opposait le gouvernement au mouvement indépendantiste tamoul, entre les années 1980 à 2009.
Prageeth Eknaligoda incarne toutes les disparitions forcées
Le nom du journaliste et dessinateur de presse Prageeth Eknaligoda se rajoute à cette longue liste. Il disparaît le 24 janvier 2010, dans des circonstances encore floues à ce jour, mais il paye vraisemblablement sa position critique vis-à-vis du président de l’époque, Mahinda Rajapaksa.
Pendant la guerre, ce dernier place son frère Gotabaya à la tête de l’armée et autorise une résolution brutale du mouvement tamoul. De son commandement militaire, Gotabaya Rajapaksa héritera du surnom de « Terminator », signe de l’extrême violence avec laquelle le clan Rajapaksa mettra un terme au conflit.
Aujourd’hui, si les deux frères sont accusés de crimes de guerre par la communauté internationale, ils sont toujours libres. Pourtant, des ONG telles que l’International Truth and Justice Project (ITJP) a saisi à deux reprises la justice américaine contre Gotabaya Rajapaksa lorsque celui-ci était encore citoyen américain, et avant qu’il ne retrouve l’immunité diplomatique due à son élection en tant que président. Par la suite, cette ONG a déposé une plainte auprès du procureur général de Singapour lorsque celui-ci a trouvé refuge dans le pays, en août 2022.
D’autres tentatives ont été menées dans le monde, et des pays, dont le Canada, ont annoncé des sanctions économiques ou diplomatiques contre les deux anciens présidents, mais de manière isolée.
Face à ces échecs, le Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) a exhorté les États membres de l’ONU, dans un rapport sur le pays publié en 2022, « à coopérer aux efforts en la matière, notamment en utilisant les voies disponibles de la compétence extraterritoriale et universelle, pour enquêter et poursuivre les crimes de droit international commis au Sri Lanka », invitant également « à envisager d’autres mesures » visant les responsables.
Une semaine de mobilisation aux côtés de sa famille
En lui remettant le Prix Engel-du Tertre pour les droits humains, la Fondation ACAT tient à honorer la mémoire de Prageeth Eknaligoda. Invitée en France, son épouse Sandya Eknaligoda engagera une semaine de mobilisation intense pilotée par l’ACAT-France pour sensibiliser sur ce drame qui meurtrit toute la société au Sri Lanka.
C’est un signal fort envoyé au Sri Lanka pour que justice et vérité soit enfin rendues. C’est aussi un appel aux autorités françaises pour apporter son soutien technique, conformément à ses engagements internationaux.
Depuis 2016, le Sri Lanka a ratifié la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Ce traité des Nations unies permet à un comité d’experts de demander des informations concernant le sort d’une victime et de formuler des recommandations à un État.
La Convention n’est malheureusement pas applicable au cas de Prageeth Eknaligoda, car sa disparition est intervenue en 2010, six ans avant que le Sri Lanka ne soit lié par ce texte. C’est aussi le cas pour des centaines, voire des milliers, de victimes, enlevées pendant la guerre.
Pourtant, un espoir demeure. Toujours en vertu de ce texte, le Sri Lanka peut recevoir des plaintes de la part d’un autre État, comme la France. Les autorités françaises peuvent aussi alerter le Comité s’il semble que les disparitions forcées sont pratiquées « de manière généralisée ou systématique ». La question peut alors être portée en urgence à l’Assemblée générale des Nations unies.