République Dém. du Congo
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Où en est la lutte contre l'impunité en RDC ?

A l'occasion de la sortie du documentaire "L'homme qui répare les femmes" sur le travail du docteur Mukwege en faveur des femmes victimes de violences sexuelles en RDC, l'ACAT revient sur la situation des droits de l'homme dans ce pays.
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Conflit du Nord-Kivu, mars 2013. Crédits : Commission européenne / Flickr Creative Commons
Le 17 / 02 / 2016

Quelle est la situation actuelle des droits de l’homme dans le Kivu ?

L’Est de la RDC - région riche en ressources naturelles - souffre depuis une vingtaine d’années d’une instabilité chronique avec une succession de conflits fonciers, ethniques et politiques, qui s’entremêlent avec les intérêts économiques et géostratégiques des pays voisins.

Aujourd’hui, près de 70 groupes armés y sont encore actifs et se partagent avec l’Etat le pouvoir et les richesses. La sécurité des civils n’est assurée quasiment nulle part. Les atteintes aux droits de l’homme contre les populations restent « monnaie courante » et la situation humanitaire continue à demeurer fortement dégradée, avec 1,6 millions de personnes déplacées dans la zone. Les Forces armées de la RDC (FARDC) et la police - sous-payées, mal formées, mal équipées - demeurent au cœur de l’insécurité : violences physiques, racket, taxations illégales et arrestations arbitraires.

Les violences visent en particulier les femmes, les jeunes hommes et les membres de la société civile et de l’opposition. Dans l’Est, les militants de la Lucha sont particulièrement la cible de la répression gouvernementale.

L’impunité demeure la règle vis à vis des graves violations des droits de l’homme commises depuis une vingtaine d’années. Le bilan est particulièrement lourd : 617 crimes graves commis de 1993 à 2003 ont été documentés par les Nations Unies dans leur rapport « Mapping », publié en octobre 2010.

Qu’en est-il plus spécifiquement des violences sexuelles ?

Dans l’Est de la RDC, le viol demeure une arme de guerre et une arme de destruction de la structure sociale. Les femmes sont non seulement violées, mais également torturées à coup d’armes à feu, de machettes, jusqu’à ce que leurs appareils génitaux soient détruits.

Les Nations unies estiment que plus de 500 000 femmes ont été violées par des militaires, des miliciens ou des civils ces 15 dernières années.

Depuis 2014, les violences sexuelles commises par les membres des Forces Armées de la RDC  ont baissé, après que les autorités ont commencé à prendre des mesures contre les auteurs de ces crimes. Aujourd’hui, environ 31% des violences sexuelles sont commises par les FARDC, et 69% par les membres des groupes armés.

Qui est le Dr Denis Mukwege et que fait-il ?

Denis Mukwege est né le 1er mars 1955 à Bukavu, dans le Sud-Kivu, à l’Est de la République démocratique du Congo (RDC), qui était alors le Congo-Belge. Fils d’un pasteur pentecôtiste, il décide de se consacrer à la médecine. A la faveur d’une bourse, il part étudier en Belgique et se spécialise en gynécologie. Il pratique quelque temps sa profession de gynécologue en France, avant de retourner dans son pays natal. En 1999,  il monte sa clinique à Panzi, dans la banlieue sud de Bukavu. Il pense au-départ faire de l’obstétrique classique : accouchements, césariennes… Mais très vite, la guerre civile qui l’entoure le rattrape. Le Dr Denis Mukwege se consacrera aux soins et à la réparation des femmes et des fillettes victimes de violences et de sévices sexuels.

Voilà plus de quinze ans que ce gynécologue congolais, surnommé « Papa Denis » par ses patientes de l'hôpital de Panzi, poursuit sa mission humanitaire malgré l'hostilité des belligérants, et notamment du pouvoir de Kinshasa. En effet, les autorités voient en le Docteur un témoin gênant des exactions commises par toutes les parties au conflit et une possible figure d’un renouveau politique  dans le paysage congolais.

Denis Mukwege a fait l’objet de plusieurs tentatives de rapt et d’assassinat. Le 25 octobre 2012, peu après avoir tenu un discours aux Nations unies, un commando armé est rentré chez lui afin de l’assassiner. Alors qu’il était mis en joug, Denis Mukwege a miraculeusement pu échapper à la mort grâce à l’un de ses gardiens, qui s’est sacrifié à sa place… Passé tout près de la mort, Denis Mukwege décide alors de partir, avec sa famille, en Europe pour un exil temporaire. Les femmes du Kivu se cotisent alors pour lui payer un billet de retour, symbolisant leur désir de le voir revenir travailler dans son hôpital de Panzi. En janvier 2013, il décide de revenir. 

Depuis lors, Denis Mukwege vit cloitré dans son hôpital, protégé, jour et nuit, par des casques bleus. Ses seules échappées se font à l’étranger lorsqu’il part prêcher pour ses victimes. Depuis des années, le docteur Mukwege parcourt le monde entier pour, inlassablement, alerter et dénoncer les horreurs qu’il côtoie au quotidien dans son hôpital.

Denis Mukwege est lauréat de nombreux prix à travers le monde, dont le prix Sakharov du Parlement européen (2014) et le prix des droits de l'homme des Nations unies (2008). Il a l’étoffe d’un prix Nobel de la paix, qu’il aura peut-être un jour...

Où en sommes-nous dans la quête de justice de toutes ces victimes ?

De manière générale, l’impunité demeure la règle en RDC, particulièrement lorsque les crimes ont été commis par des éléments des FARDC ou des policiers. Par ailleurs, la documentation des exactions est rarement effectuée de manière précise et professionnelle. Cela est d’autant plus délicat que certains territoires sont difficilement accessibles, ce qui est notamment le cas dans l’Est du pays. C’est pour pallier ce constat d’impuissance répété, que le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme s’est livré, à partir de 2008, à un inventaire des violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises entre mars 1993 et juin 2003 en RDC : le Projet « Mapping ».

De son côté, en 2004, la Cour pénale internationale (CPI) a ouvert une enquête en RDC et elle demeure, jusqu’à aujourd’hui, compétente pour juger des crimes relevant de son mandat (notamment les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité). Par contre, elle ne peut pas enquêter sur les exactions commises avant son entrée en fonction, le 1er juillet 2002.

Plus de cinq années après la publication du rapport « Mapping », le 1er octobre 2010, ses principales recommandations n’ont toujours pas été appliquées. Le rapport recommandait par exemple au gouvernement congolais de créer des tribunaux mixtes composés de juges congolais et étrangers afin de sanctionner les crimes internationaux.

L’impunité dont jouissent les auteurs et responsables des principales violations graves des droits de l’homme commises en RDC – pour certaines il y a plus de vingt ans – demeure, et cette impunité concoure à la répétition des exactions et ce jusqu’à ce jour. Le rapport « Mapping » accusait notamment des officiers de l’armée, ainsi que sept autres pays impliqués dans les conflits armés en RDC.

Que pouvons-nous faire pour œuvrer en faveur de la fin de ces exactions et pour lutter contre l’impunité ?

Nous devons demander, de manière continue, que les responsables politiques et militaires des crimes commis en RDC répondent de leurs actes devant la justice.

Fin 2010, le gouvernement congolais a accueilli favorablement le rapport « Mapping » et a rapidement proposé la mise en place d’une « chambre mixte spécialisée »… Excepté que la loi créant un tel organe n’a toujours pas été adoptée. Aujourd’hui, les autorités congolaises semblent vouloir éviter la création d’une telle instance judiciaire : si elle était réellement indépendante et impartiale, elle risquerait de porter préjudice à un certain nombre de hauts-dignitaires du pouvoir qui seraient amenés à répondre devant la justice de leurs exactions passées.

Les pays voisins incriminés dans le rapport « Mapping » (Angola, Burundi, Ouganda, Rwanda) n’ont également pris aucune initiative pour que leurs systèmes judiciaires enquêtent sur les exactions commises par leurs armées en RDC. Chez eux aussi, l’impunité est la règle. Malheureusement, le Conseil de sécurité des Nations unies, et ses membres permanents, n’ont véritablement rien entrepris pour palier à cet échec. Ils ont au contraire, par leur inactivité, enterré le rapport « Mapping » et ses recommandations.

Aujourd’hui, l’impunité d’un nombre important d’élites militaires et politiques en Afrique centrale - pas seulement en RDC, mais aussi au Burundi, au Congo-Brazzaville, en Ouganda, En République centrafricaine et au Rwanda, - continue à entraîner cette région dans un abysse sans fonds de violences et de crises politiques et sécuritaires majeures. La reprise de la guerre civile au Burundi est particulièrement inquiétante et le risque de chaos en RDC est une réalité avec le jeu trouble de Joseph Kabila, qui sans le dire, cherche à éviter l’alternance par les urnes en 2016.

La communauté internationale ne peut plus fermer les yeux sur cette triste réalité. Les espoirs de démocratie, de respect de l’État de droit et de bonne gouvernance dans toute la région des Grands Lacs s’envolent jour après jour avec la volonté des dirigeants en place de se maintenir au pouvoir, quitte à utiliser la violence étatique pour réduire à néant toute opposition.

Le Conseil de sécurité des Nations unies doit prendre ses responsabilités et veiller à l’enracinement de la justice dans la région des Grands Lacs et plus particulièrement en RDC. Un premier pas consisterait à œuvrer en vue de la mise en œuvre des recommandations de lutte contre l’impunité du rapport « Mapping ».

La communauté internationale a beaucoup de leviers, diplomatiques, économiques, politiques, pour agir. L’ACAT appelle en ce sens le HCDH à lever l’embargo sur sa base de données, actuellement confidentielle, qui identifie les présumés auteurs et responsables des 617 événements documentés dans le rapport « Mapping », et qui ont occasionné de graves violations des droits de l’homme entre 1993 et 2003.

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