Disparition inquiétante d’un témoin rwandais gênant au Kenya
Le jeudi 13 novembre 2014, à Nairobi (capitale du Kenya), Émile Garafita – témoin attendu devant la justice française dans l’affaire « Attentat contre Habyarimana » ayant déclenché le génocide au Rwanda en avril 1994 – s’est fait enlever de force par plusieurs individus en civil, parlant une langue étrangère, devant des témoins. Depuis lors, il est porté disparu et les autorités kényanes rechignent à enquêter.
Émile Garafita, ancien militaire rwandais du Front patriotique rwandais (FPR), rentré en dissidence en 2009, s’était installé il y a deux mois dans le quartier de Dagoretti, à Nairobi. Il vivait sous le nom d’emprunt d’Emmanuel Mughisa.
Le jour même de son enlèvement, il avait reçu une convocation pour être entendu, début décembre 2014, par les juges Marc Trévidic et Nathalie Poux, dans le cadre de l’affaire de l’attentat contre l’avion de l’ancien président rwandais, Juvénal Habyarimana, survenu le 6 avril 1994. Son nom et sa qualité de témoin étaient connus depuis plusieurs semaines de toutes les parties. Émile Garafita affirmait avoir convoyé, en 1994, les missiles qui auraient abattu l’avion jusqu’au quartier général du FPR à Kigali, accréditant la thèse d’un attentat commis par ce groupe armé, aujourd’hui au pouvoir.
Jusqu’à ce jour, les autorités kenyanes sont réticentes à mener une enquête sur cette disparition. L’affaire est politiquement très sensible. Aucun policier n’est venu interroger les témoins pour vérifier la thèse de l’enlèvement. La vie d’Émile Garafita est en danger.
Contexte
Affaire « Attentat contre Habyarimana »
L’attentat du 6 avril 1994, qui a coûté la vie au chef de l’État rwandais Juvénal Habyarimana, est considéré comme l’événement déclencheur du génocide qui a fait au moins 800 000 morts en trois mois, essentiellement parmi la minorité tutsi. En 1998, la justice française ouvre une enquête sur cet attentat. Le juge Jean-Louis Bruguière conclut à la responsabilité du FPR. Des mandats d’arrêts sont lancés contre plusieurs proches de Kagamé, créant une grave crise politique et diplomatique entre Paris et Kigali. En 2007, les juges Trévidic et Poux reprennent l’enquête à zéro. Ils se rendent sur place et procèdent à des études balistiques qui concluent à des tirs de missiles depuis une colline occupée par les forces armées rwandaises (FAR) du régime Habyarimana. Les mandats d’arrêts contre les proches de Kagamé sont levés. En juillet 2014, les juges décident de clore leur enquête sans pour autant avoir apporté des réponses définitives quant aux auteurs de cet attentat. La lettre d’Émile Garafita, affirmant avoir convoyé personnellement les missiles qui auraient abattu l’avion, oblige les juges à rouvrir l’instruction.
Une succession de « mise en sourdine » d’anciens membres du FPR
Plusieurs dissidents au sein du FPR passés dans l’opposition, témoins des crimes commis dans les années 90 par le FPR au Rwanda et en République démocratique du Congo (RDC), ont été enlevés à l’étranger, jugés et condamnés à de lourdes peines de prison au Rwanda. D’autres ont été assassinés, tels Patrick Karegeya, ancien chef des renseignements extérieurs assassiné en Afrique du Sud en janvier 2014, ou visés par des tentatives de meurtre.