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CHINE : DANS LES COULISSES DES CONFESSIONS TÉLÉVISÉES

Bien que prohibées par la loi chinoise, les confessions forcées obtenues à la suite de mauvais traitements et de tortures connaissent un regain de popularité depuis quelques années. Mises en scène et filmées, elles sont diffusées par les médias d’État afin de servir la propagande du Parti communiste chinois (PCC).
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Certaines confessions télévisées sont mises en scène dans des cadres qui donnent l'air d'aveux voulus, comme pour celle de Wang Yu ci-dessus.
Le 10 / 08 / 2018

La scène n’a cessé de se répéter depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2013 : un individu, au terme de plusieurs mois de détention - parfois au secret - confesse un crime en amont de son procès, sans avoir eu accès à un avocat ; il dénonce des collègues ou des amis, fait l’apologie du Parti communiste chinois (PCC) garant de l’État de droit, assure des bonnes conditions de sa détention, et attaque la communauté internationale pour ingérence dans les affaires de la Chine. Un argumentaire familier et étrangement similaire aux déclarations officielles des autorités. Si la grande majorité des confessions ont été diffusées sur des chaînes de la télévision d’État chinoise (la chaîne CCTV en premier lieu), il est arrivé que certaines soient relayées par des médias privés pro-Parti et parfois même, par des médias hongkongais.

Tortures et mauvais traitements

Les cibles prioritaires ? Les « usual suspects » chinois : défenseurs des droits humains, journalistes indépendants ou Ouïghours. En somme, des individus traditionnellement considérés comme des ennemis ou des détracteurs du PCC. Ils sont généralement accusés de crimes relatifs à la sécurité nationale ou aux troubles de l’ordre social. Les confessions télévisées sont régulièrement utilisées à l’encontre de simples délinquants et de criminels de droit commun. Mais quel que soit leur « crime », cette pratique viole non seulement les textes internationaux ratifiés par la Chine, mais également la loi chinoise, qui prévoit le droit à un procès équitable, le respect de la présomption d’innocence, le droit de ne pas s’auto-incriminer et des mécanismes de protection contre les confessions forcées. En juin 2017, la Cour populaire suprême chinoise réaffirmait même l’invalidité des confessions obtenues par la force, ainsi que des preuves et dépositions de témoins recueillies à la suite de pressions.

Le plus souvent enregistrées après des semaines, voire des mois de mauvais traitements, ces confessions sont obtenues sous la menace, la torture et la peur. Certains sont forcés d’ingurgiter des médicaments psychotropes. D’autres ont les mains et les pieds menottés. Lors du tournage de leur confession, les prisonniers sont physiquement et mentalement affaiblis et en état de stress intense. De nombreux témoignages font également état de menaces de mort ou de représailles sur la famille du détenu. Par exemple, l’avocate Wang Yu a été harcelée à plusieurs reprises après son arrestation par les autorités pénitentiaires. Elle a résisté, jusqu’à ce que le garde chargé de l’interroger lui apprenne que son fils avait été arrêté à la frontière birmane et lui montre un cliché de lui. Elle a alors accepté d’enregistrer sa confession, qui a été diffusée par le média d’État CCTV sans qu’elle en ait été informée.

Mise en scène contrôlée

Dans la majorité des cas, la police dicte et contrôle les confessions à la manière d’un réalisateur : costume de « scène », script que les détenus doivent apprendre par coeur, directions de « jeu », scènes filmées jusqu’à ce que les prises soient satisfaisantes... Les tournages peuvent durer des heures. Selon plusieurs témoignages, les policiers chargés de la « mise en scène » ont tour à tour ordonné aux détenus de pleurer, de parler plus ou moins lentement, de modifier leur posture ou de réciter leur texte de façon plus « authentique ». Certains ont dû répéter la même réplique plus d’une dizaine de fois avant que leur prestation ne satisfasse l’officier en charge de conduire la confession.

Le lieu de tournage, sur lequel les détenus sont emmenés les yeux bandés, dépend du profil du détenu et de l’ampleur de l’affaire. Depuis 2015, et en particulier pour les cas liés aux défenseurs des droits humains, les autorités ont privilégié les lieux « neutres », moins menaçants que les cellules de prison auparavant utilisées, tels que des bureaux, des chambres d’hôtel ou même des jardins (voir photo). Les prévenus sont habillés en civil, ne semblent pas menottés et aucun policier ou garde n’apparaît dans le champ. L’objectif des autorités : adoucir ces images qui bénéficient d’une audience plus large et plus critique que pour les cas de droit commun.

Bien plus que de simples confessions

Au-delà d’un simple aveu de culpabilité, ces enregistrements sont utilisés comme des outils de propagande pour dissuader la population. Humiliés, certains confessés ont dû s’adonner à de véritables autocritiques en exprimant leurs remords d’avoir commis des erreurs et heurté le sentiment du peuple chinois. Les vidéos sont conçues de manière à chanter, plus ou moins ouvertement, les louanges du PCC, du gouvernement et des forces de l’ordre afin de renforcer la légitimité du Parti auprès du public. Ce type de script fait partie intégrante de la stratégie de propagande qui suit généralement un épisode de répression particulièrement sévère, à l’image de celle qui a ciblé les avocats à partir de 2015. Autre objectif : servir la politique étrangère de la Chine.

Ces vidéos permettent de réfuter les critiques auxquelles les autorités chinoises peuvent être confrontées à la suite d’emprisonnements arbitraires. Ainsi, elles servent à contester la légitimité des remontrances adressées à la Chine par la communauté internationale. Les prévenus sont forcés de démentir des allégations de torture, d’assurer que leurs droits ont été garantis même en détention et qu’ils ont été bien traités en prison. Certains ont dû demander à ce qu’un État extérieur cesse d’interférer. C’est le cas de la confession du libraire sino-suédois Gui Minhai, diffusée en février 2018, lors de laquelle il fustige les autorités suédoises pour avoir « sensationnalisé » son cas. L’avocat Jiang Tianyong a, quant à lui, dû revenir sur les propos qu’il avait tenus publiquement sur les actes de torture perpétrés sur son confrère Xie Yang en détention et dire qu’il ne s’agissait que de mensonges.

Certains détenus ayant pu quitter la Chine une fois libres, à l’image de la journaliste Gao Yu, ont par la suite publié des démentis officiels et fait savoir que les propos tenus lors de leur confession télévisée étaient le fruit de pressions intenses. Restent ceux qui ne peuvent pas ou qui ne veulent pas quitter le pays et qui doivent affronter, en plus du traumatisme subi, le désaveu de leur communauté une fois qu’ils sont libérés, sans pouvoir rétablir leur honneur.


Par Jade Dussart, responsable des programmes Asie à l'ACAT

Article issu du Humains n°06

 

 

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