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Quand lutte contre le terrorisme rime avec restriction des libertés

En décembre 2014, face aux offensives de Boko Haram dans le nord du Cameroun, le président Paul Biya a promulgué une loi sur la répression des actes terroristes. Sous couvert de mise en place d’un dispositif légal afin de combattre la secte islamiste, cette loi restreint drastiquement les libertés fondamentales.
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Le président camerounais Paul Biya. Crédits : United Nations Photo / Flickr Creative Commons
Le 13 / 02 / 2015

Tribune publiée à l'origine sur le Monde Afrique

Même s’il n’existe pas de définition unanimement reconnue de ce qu’est le terrorisme, le groupe de personnalités de haut niveau nommé par le secrétaire général de l’ONU fait cette proposition : le terrorisme représente « toute action [...] qui a pour intention de causer la mort ou de graves blessures corporelles à des civils ou à des non-combattants, lorsque le but d'un tel acte est, de par sa nature ou son contexte, d'intimider une population, ou de forcer un gouvernement ou une organisation internationale à prendre une quelconque mesure ou à s'en abstenir ».

La récente loi camerounaise sur le terrorisme, tout en reprenant en partie cette définition, l’élargit en ajoutant l’intention « de contraindre le gouvernement [...] à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque, à adopter ou à renoncer à une position particulière ou à agir selon certains principes », « de perturber le fonctionnement normal des services publics, la prestation de services essentiels aux populations ou de créer une situation de crise au sein des populations, de créer une insurrection générale dans le pays ».

Dérives répressives de la part des autorités

La définition des actes terroristes en devient imprécise. Dorénavant, toute grève, manifestation ou appel à la désobéissance civile peut être assimilé à un acte de terrorisme. Une telle situation peut conduire à des dérives répressives à l’encontre de membres de la société civile et de l’opposition politique. A posteriori, les émeutes de février 2008 après la levée de la limitation des mandats présidentiels auraient pu être assimilées à des actes de terrorisme et les milliers de manifestants arrêtés auraient pu être condamnés à mort.

Cette loi prévoit en effet de lourdes sanctions : la peine de mort pour tous ceux qui commettent un « acte ou menace d’acte susceptible de causer la mort, de mettre en danger l’intégrité physique, d’occasionner des dommages corporels ou matériels, des dommages aux ressources naturelles à l’environnement ou au patrimoine culturel », ceux qui financent des « actes de terrorisme », ceux qui blanchissent des produits relevant des « actes de terrorisme » et ceux qui recrutent et forment des personnes en vue de leur participation à des « actes de terrorisme ».

Une telle situation prévoyant largement la peine capitale contredit les récents engagements du Cameroun sur le plan international, notamment son vote en faveur de la résolution de l’ONU du 18 décembre 2008 visant à un moratoire mondial sur les exécutions. Cela va également à l’encontre de nombreux traités et conventions dont le Cameroun est partie (notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements et cruels, inhumains ou dégradants). Pour des paroles ou des écrits publics, considérés comme « apologie des actes de terrorisme », la peine est de 15 à 20 ans d’emprisonnement et une amende de 25 à 50 millions de francs CFA (38 000 à 76 000 euros). « L’apologie » n’étant pas définie, les journalistes et bloggeurs peuvent potentiellement être condamnés.

Dorénavant, il va être difficile pour les journalistes indépendants d’écrire et l’autocensure risque de prendre le pas dans une profession déjà fortement harcelée judiciairement par les autorités publiques. Une garde à vue de 15 jours renouvelable sur simple autorisation gouvernementale est prévue. Il n’est toutefois pas mentionné combien de fois la garde à vue peut être renouvelée. Une telle situation peut déboucher sur de longues détentions préventives.

La possibilité d’avoir accès à un avocat durant la période de garde à vue ne figure pas non plus dans cette loi. La loi anti-terrorisme prévoit en outre une compétence exclusive du tribunal militaire pour juger les personnes soupçonnées de terrorisme. Des civils pourront dès lors être jugés par des juridictions militaires, dont l’indépendance pose question sachant que les magistrats militaires sont nommés, affectés et promus par le ministre de la défense.

Restreindre certaines voix discordantes

Cette loi est clairement liberticide et vraisemblablement anticonstitutionnelle dans le sens où elle remet en cause un certain nombre de droits définis et protégés par la Constitution. A la lecture de cette loi, une question revient sans cesse à l’esprit : les autorités ne se seraient-elles pas doté d’un instrument judiciaire pour contrer d’éventuelles contestations politiques avant la présidentielle d’octobre 2018 ? On comprendrait dès lors mieux pourquoi les amendements proposés par des parlementaires de l’opposition ont été rejetés.

La loi commence à être utilisée pour restreindre certaines voix discordantes. A Yaoundé, sous prétexte qu’ils voulaient lancer un mouvement de grève des chauffeurs de taxis alors que la menace de Boko Haram plane sur le Cameroun, deux syndicalistes ont été arrêtés le 16 janvier 2015. Ils ont passé 15 jours en garde à vue pour « apologie du crime, sédition et activités terroristes ». Ils avaient simplement fait publier un préavis de grève des chauffeurs de taxis dans lequel les syndicalistes demandaient notamment la baisse du prix du carburant.

Pour être efficace, la lutte contre le terrorisme ne devrait pas se faire au détriment des droits fondamentaux mais dans un respect scrupuleux de ces libertés qui sont justement la hantise de Boko Haram. La réponse armée à Boko Haram ne pourra réussir au Cameroun qu’à condition que les autorités ne s’attaquent aux causes profondes de l’émergence de Boko Haram au nord du pays, à savoir le chômage massif de la jeunesse, la paupérisation croissante, l’absence de programmes de développement, le non-respect de l’Etat de droit et des droits de l’homme, l’absence d’élections libres et transparentes, et la corruption omniprésente.

Ne soyons pas dupes. L’échec du pouvoir en place ces trente dernières années sur tous ces sujets a poussé une partie, pour l’instant restreinte, de la jeunesse désœuvrée dans les mains de terroristes qui sont en capacité de leur proposer un salaire et un autre modèle de pouvoir politique.

Clément Boursin, responsable Afrique à l'ACAT / @ClementBoursin
 

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