Iran
Fiche publiée en 2010
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Contexte
En ce qui concerne les droits de l’homme, les évènements les plus marquants survenus en Iran ces dernières années ont eu pour cadre le large mouvement de protestation auquel l’annonce des résultats de l’élection présidentielle du 12 juin 2009 a donné lieu et la répression sanglante qui s’en est suivi et qui perdure depuis.
Après l’annonce par le ministère de l’Intérieur de la victoire du président sortant, Mahmoud Ahmadinejad, des centaines de milliers d’Iraniens descendent dans la rue pour dénoncer la fraude électorale. La mobilisation est très vite jugulée par les forces de sécurité et les bassidji, des miliciens populaires au service du Guide suprême, l’Ayatollah Ali Khamenei. La répression est particulièrement violente et cause la mort de plusieurs manifestants. Au cours du seul mois de juin 2009, 37 personnes sont tuées selon les autorités iraniennes et plus de 100 selon les ONG locales et internationales.
Elle s’accompagne de vagues d’arrestations de tous ceux qui sont perçus comme mettant en cause la légitimité du régime et de nombreuses autres formes d’atteintes aux libertés publiques. On assiste à une recrudescence des exécutions extrajudiciaires, du recours à la torture, des atteintes graves aux libertés d’expression, de réunion et de croyance.
Sont ainsi visés indistinctement les membres des partis d’opposition (réformistes ou conservateurs), les journalistes, les défenseurs des droits de l’homme, les artistes, mais aussi les milliers de citoyens dont l’engagement politique se limite à la participation à une manifestation.
En sus de ce déchaînement massif de violence étatique à l’encontre des opposants politiques, l’État iranien intensifie la politique de répression systématique qu’il mène depuis l’avènement de la République islamique en 1979 à l’encontre des homosexuels, des minorités ethniques telles que les Kurdes et les Baloutches, et des minorités religieuses telles que les bahaïs et les chrétiens. Tous encourent la peine de mort en raison de leurs croyances ou activités appréhendées comme des menaces pour la Sécurité nationale. Des Baloutches et des Kurdes sont exécutés chaque année.
L’institution judiciaire iranienne participe activement à l’organisation de la répression des opposants au régime. L’Iran s’illustre ainsi particulièrement par l’iniquité de sa justice. Des condamnations à mort sont notamment prononcées à l’issue de procès de quelques minutes auxquels les avocats ne sont pas autorisés à assister et où la « reine des preuves » est l’aveu obtenu sous la torture. Les aveux des opposants politiques sont même parfois filmés et diffusés sur les chaînes nationales pour légitimer la répression.
L’Iran n’est pas partie à la Convention contre la torture et refuse de collaborer avec le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture dont les demandes d’invitation sont toujours restées sans réponse.
Pratiques de la torture
Victimes
Les premières victimes de la torture sont les opposants politiques, tels que les membres présumés de l’Organisation des Moujahidin du peuple iranien (OMPI) et les partisans de Mir Hossein Moussavi et de Mehdi Karoubi, les deux chefs de file des partis d’opposition, ainsi que les défenseurs des droits de l’homme et tout particulièrement les promoteurs de l’égalité entre les hommes et les femmes, les journalistes indépendants, les syndicalistes, les étudiants et universitaires d’opposition et les cyberactivistes. Depuis le début de la répression post-électorale, l’ACAT-France s’estmobilisée à plusieurs reprises, par voie de lettres et d’Appels urgents adressés aux autorités iraniennes, en faveur des manifestants torturés, emprisonnés ou condamnés à mort.
La répression des manifestations post-électorales a élargi le spectre des victimes de torture à des personnes issues de différents milieux socioprofessionnels dont la plupart n’étaient pas particulièrement politisées avant de rejoindre le mouvement général de protestation. Une jeune protestataire a été arrêtée par des bassidji lors d’une manifestation le 16 juin 2009. Conduite dans les bureaux des services secrets, elle y a été frappée à coups de matraque électrique, de coups de pieds et de coups de poings, placée en isolement cellulaire, privée de sommeil et violée à plusieurs reprises. Selon le Département d’État américain, 37 manifestants ont déclaré avoir été violés pendant leur détention.
Un jeune manifestant, aujourd’hui réfugié en Europe, a témoigné auprès de l’ACAT-France des tortures qu’il a subies en juillet 2009 pendant ses cinq jours de détention à Kahrizak, où il a été enfermé avec près de 145 autres manifestants. À leur arrivée sur place, les gardiens les ont fait se déshabiller et entrer dans un container qui hébergeait déjà 35 prisonniers de droit commun, alors qu’il ne pouvait en principe en contenir que 60. Pendant les cinq jours de détention, la plupart des prisonniers étaient contraints de rester debout des heures durant. Les plaies causées par les coups reçus après leur arrestation se sont infectées à cause de la promiscuité et de l’extrême chaleur. Les maladies se sont propagées parmi les prisonniers qui vomissaient et s’évanouissaient. Privés d’accès aux toilettes, ils n’avaient droit qu’à un bout de pain, une gorgée d’eau et un morceau de pomme de terre par jour. Tous les détenus ont été attachés dans la position de la suspension inversée et battus jusqu’à l’évanouissement. Le troisième jour, les gardiens ont contraint la moitié des prisonniers à faire le tour de la cour à quatre pattes sur l’asphalte brûlant en portant chacun sur leur dos un prisonnier. Ils saignaient des mains et des genoux. Ceux qui se sont évanouis ont été battus. Deux prisonniers sont morts des suites de leurs blessures.
Les minorités ethniques et religieuses, les homosexuels et les musulmans convertis à une autre religion sont également les victimes récurrentes de pratiques tortionnaires. Les Kurdes militant pour l’indépendance du Kurdistan iranien sont particulièrement ciblés, mais aussi les Baloutches, les chrétiens évangéliques suspectés de prosélytisme, de même que les adeptes de la religion bahaïe, non reconnue par le droit iranien et dont les représentants nationaux sont emprisonnés depuis mars 2008.
Plusieurs crimes de droit commun tels que l’adultère, le vol ou le meurtre sont passibles de châtiments corporels qui sont, dans certains cas, infligés jusqu’à la mort du condamné. C’est notamment le cas de la lapidation prescrite en punition de relations sexuelles illicites. Le 13 avril 2010, un homme a été amputé d’une main et d’une jambe en application d’un jugement le condamnant pour avoir participé à une attaque à main armée. Les crimes politiques sont aussi susceptibles d’être punis par un châtiment corporel. Le 17 novembre 2009, le journaliste et avocat iranien Kambiz Norrozi a été condamné à deux ans de prison ferme et à 76 coups de fouet par la 26e chambre du tribunal révolutionnaire de Téhéran pour « publicité contre le régime et trouble à l’ordre public ».
Tortionnaires et objectifs
Les bassidji et les agents du ministère du Renseignement et de la Sécurité (Vivak) sont responsables de la plus grande partie des actes de torture commis en Iran. Les bassidji sont des miliciens recrutés pour la plupart au sein des populations désœuvrées souvent issues des milieux populaires. Ils constituent une branche du corps des Gardiens de la révolution (les Pasdaran) et dépendent directement du Guide suprême, l’Ayatollah Ali Khamenei.
La police, la gendarmerie nationale, la police militaire, les Gardiens de la révolution, ainsi que les gardiens de prison se livrent aussi fréquemment à la torture et à des traitements cruels, inhumains ou dégradants tels que des insultes, des menaces ou des coups.
La torture pratiquée lors des interrogatoires a pour objectifs d’obtenir des aveux qui seront ensuite utilisés dans les procès, parfois comme unique preuve, ainsi que de terroriser la victime et ses proches, surtout lorsqu’il s’agit d’un prisonnier d’opinion.
Méthodes et lieux
Outre les sévices mentionnés précédemment, les méthodes suivantes sont également fréquentes : arrachage d’ongles, chocs électriques, brûlures de cigarettes, falaqa, privation de lumière, bandage des yeux pendant des semaines, interdiction d’accès aux soins médicaux, exposition permanente à une lumière artificielle, maintien en plein soleil pendant des heures, usage de psychotropes, menaces d’exécution, simulacres d’exécution et menaces de représailles sur la famille.
Les châtiments corporels, tels que la flagellation, la lapidation à mort, l’amputation de membres et l’énucléation (ablation du globe oculaire), mis en œuvre en application d’un jugement sont aussi constitutifs d’actes de torture au sens de la Convention des Nations unies contre la torture.
La longueur des séances de torture pendant la phase d’interrogatoire est très variable. Elle peut durer quelques heures ou se prolonger pendant des semaines, ou même des années, en fonction du degré de collaboration du prévenu. Plusieurs personnes arrêtées pendant ou à la suite des manifestations post-électorales sont mortes des suites de tortures. Bien qu’il soit impossible de connaître le nombre de victimes (les médecins légistes dissimulent les causes des décès causés par la torture), les corps remis aux familles témoignent de la torture subie.
La section 209 de la prison d’Evin, à Téhéran, est tristement célèbre pour les tortures qui y sont commises, principalement à l’encontre des prisonniers politiques. Cette section, administrée par les services de renseignement, échappe à la supervision du ministère de la Justice qui administre les prisons. La torture est aussi largement pratiquée dans les autres prisons (notamment celles de Gohar Dasht et de Shiraz), dans les postes de police, ainsi que dans les stations des bassidji. Des tortures sont systématiquement infligées dans les centres de détention secrets tels que Pasargad, administré par les Gardiens de la révolution, et dans le centre de détention de Kahrizak. Kahrizak était un immense dépôt d’armes et de munitions qui a été transformé, après la révolution islamique, en prison clandestine où étaient enfermés ceux que le régime qualifie de « racailles », c’est-à-dire les trafiquants de drogue, les prostituées, les proxénètes et autres criminels de droit commun dont les crimes sont considérés comme des atteintes à l’ordre social islamique. Jusqu’aux manifestations de 2009, ce centre de détention officieux n’accueillait pas de prisonniers politiques. Kahrizak était tristement connu comme étant la prison dont aucun prisonnier ne sort jamais vivant. Les prisonniers y étaient enfermés dans des containers dont certains étaient divisés en minuscules cages. Suite au décès du fils d’un ancien membre des Pasdaran, le Guide suprême a dû décider la fermeture du site, le 27 juillet 2009, et diligenter une enquête sur les exactions qui y ont été commises.
Pratiques de la détention
Légalité des détentions
Au sein de la population carcérale, 25 % des détenus sont en détention provisoire. Selon la loi, les personnes arrêtées doivent être informées des charges retenues contre elles dans les 24 heures, mais ce délai n’est que rarement respecté.
À la suite des manifestations post-électorales, les arrestations et détentions arbitraires se sont considérablement multipliées. Des centaines de journalistes, opposants politiques et manifestants ont été arrêtés sans mandat et détenus au secret pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines, avant que leurs familles ne soient informées de leurs arrestations.
Quelles que soient les personnes arrêtées (opposants politiques ou criminels de droit commun), l’illégalité de l’arrestation et de la détention est la règle et la légalité l’exception.
Conditions de détention
La population carcérale iranienne est estimée à plus de 150 000 détenus pour une capacité de 98 000 places. Des témoignages font état de cellules d’isolement partagées par plusieurs détenus contraints de dormir les uns sur les autres. Les centres de détention sont officiellement au nombre de 253, auxquels s’ajoutent des dizaines de centres secrets dans lesquels les conditions de détention sont vraisemblablement encore pires.
Aucun organisme indépendant du gouvernement n’a accès aux prisons, pas même le Comité international de la Croix-Rouge. Cependant, il ressort des témoignages de détenus et anciens détenus que les conditions de détention en Iran sont sans aucun doute constitutives de mauvais traitements. L’isolation des bâtiments est déficiente, voire absente, si bien que les détenus contractent des maladies à cause du froid. La nourriture est de très mauvaise qualité et en quantité insuffisante, les soins médicaux sont presque inexistants dans certains centres de détention et les ONG iraniennes font régulièrement état de décès de détenus dus à l’absence de soins. La privation de soins peut être liée à un manque de moyens ou à la volonté de punir un détenu. Dans ce dernier cas, elle est constitutive de tortures, de même que l’isolement cellulaire auquel sont soumis les prisonniers politiques pour des durées pouvant aller jusqu’à plusieurs années.
Il arrive fréquemment que des mineurs soient enfermés avec des adultes. Les prisonniers politiques que l’on veut punir davantage sont placés dans les mêmes cellules que des détenus de droit commun violents. Les personnes placées en détention préventive sont parfois enfermées avec des condamnés. Les détenus ont très peu de contacts avec le monde extérieur, leurs avocats et leurs familles. Pour les prisonniers politiques, toute visite est interdite.
Législation et pratiques judiciaires
Condamnation de la torture en droit interne
Lorsque la question de la ratification de la Convention contre la torture a été discutée au parlement, elle n’a pas reçu l’approbation du Conseil des Gardiens de la révolution24 sans laquelle aucune loi ne peut être adoptée. De même, lorsqu’il a été question de proposer une loi qui définirait la torture et ses méthodes, le Conseil des Gardiens l’a rejetée en prétextant que « certaines parties de la loi défiaient l’autorité judiciaire ». La République d’Iran se revendiquant de l’islam, les châtiments corporels prescrits par la compréhension littérale de la sharî’a à laquelle adhère le régime, tels que la flagellation, l’amputation ou la lapidation, ne sauraient être qualifiés de torture selon le gouvernement.
La République islamique d’Iran consacre deux articles de sa constitution à la prohibition de la torture et des mauvais traitements. L’article 38 dispose l’interdiction de la torture visant à obtenir des aveux ou des renseignements et prévoit que les aveux, serments et témoignages obtenus sous la contrainte n’ont aucune valeur. D’application plus large, l’article 39 interdit les affronts à la dignité et la réputation des personnes détenues sous peine de sanction. Cependant, aucun texte de droit iranien ne définit précisément la torture. Il en va ainsi de l’article 578 du code pénal islamique de 1996 qui proscrit et condamne à une peine d’emprisonnement et à la rétribution en nature ou au paiement du « prix du sang » tout fonctionnaire ou employé gouvernemental qui torture, physiquement ou psychologiquement, un accusé afin de le forcer à avouer.
L’article 163 du règlement exécutif de l’organisation pénitentiaire et des centres de correction prévoit l’interdiction absolue des injures, châtiments corporels et traitements cruels et humiliants à l’encontre des détenus. La loi des droits des citoyens de 2004 réitère également la prohibition de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants dans ses paragraphes 4 à 9. D’autres articles du code pénal relatifs au recours à la violence dans des centres de détention officieux ou à la mise en œuvre, à l’encontre d’un condamné, d’une peine qui excède celle prononcée par le juge peuvent être indirectement utilisés pour sanctionner des tortionnaires.
Le corpus juridique iranien est ainsi doté de plusieurs dispositions qui permettraient, en théorie, de sanctionner les tortionnaires, qu’ils soient militaires, policiers ou gardiens de prison. En pratique, une impunité totale prévaut.
Répression
Le gouvernement iranien justifie les exactions commises par les forces de l’ordre depuis le début de la répression post-électorale par la nécessité de protéger la République islamique des opposants « à la solde de l’Occident ». Seule exception, l’inculpation de 12 agents officiant dans la prison de Kahrizak, uniquement parce que figurait parmi les victimes de torture le fils d’un membre influent du régime. En dehors de ce désaveu d’agents de l’État destiné à prouver à la communauté internationale le souci porté par le régime à la protection des droits de l’homme, aucune enquête n’a été engagée contre les nombreux tortionnaires que comptent les forces armées.