Les conséquences de la torture

Quand la torture s’arrête-t-elle ? A-t-elle seulement une fin ? Le torturé n’est-il pas pour toujours un être marqué dans sa chair, hanté par des mois, souvent des années de captivité et de sévices ?

Certains n’ont plus de dents, d’autres ont des mains mutilées, d’autres encore ne marcheront plus jamais normalement. Mais, même lorsque la torture n’a pas laissé de traces aussi manifestes, les séquelles physiques et psychologiques sont toujours intenses et le plus souvent indélébiles. Qu’ils en parlent ou non, qu’ils semblent avoir retrouvé leur joie de vivre ou non, tous les torturés sans exception sont marqués au plus profond d’eux-mêmes par ce qu’ils ont enduré.

Les conséquences physiques

La localisation des séquelles physiques est le plus souvent, mais pas obligatoirement, en rapport avec les traumatismes subis sur la tête, la plante des pieds, le dos, les mains, les organes génitaux, etc.

Parmi les conséquences physiques les plus fréquentes, il faut noter :

  • Les troubles sensoriels : diminution de l’audition ou de l’acuité visuelle.
  • Les troubles du sommeil et les cauchemars.
  • Les syndromes douloureux : articulations douloureuses, mal de dos persistant, maux de tête intenses et tenaces.
  • Les troubles de l’équilibre et des difficultés à marcher.
  • Le très mauvais état de la bouche et des mâchoires : dents cassées, caries.
  • Des problèmes sexuels : diminution de l’instinct sexuel, impuissance

Les conséquences psychologiques

« Alors qu’ils (les torturés) ne présentent pas de symptômes apparents, leur vie est dominée par une insécurité intérieure. […] Leur existence a la fragilité d’un château de cartes. Si tout va bien, ils n’ont rien à craindre, mais dès qu’ils doivent lutter contre un vent contraire, leur intégration risque de s’effondrer. » [1]

Récemment libérés, beaucoup de torturés se replient sur eux-mêmes, ils sont méfiants, comme traqués, parfois paniqués chaque fois qu’une porte s’ouvre.

Certains réussissent à parler des sévices qu’ils ont subis lorsqu’ils pensent que leur témoignage sera utile pour que ces atrocités cessent et ne puissent se renouveler.

Quelques-uns peuvent dire leur souffrance, leur humiliation, leur sentiment de culpabilité devant ce qu’ils vivent comme une déchéance personnelle.

La plupart ne peuvent rien dire. Lorsqu’ils y sont obligés, pour éclairer un médecin ou justifier une demande d’asile, ils le ressentent comme une nouvelle agression tortionnaire.

Avec le temps, la méfiance et la peur peuvent s’estomper. Cependant, les symptômes suivants sont courants et perdurent longtemps :

  • L’anxiété, les crises d’angoisse.
  • La dépression, le manque d’intérêt.
  • Les troubles de la concentration et de la mémoire.
  • La difficulté à renouer des relations avec ses proches, avec les autres, voire le repli sur soi.
  • L’agressivité et l’hypersensibilité.
  • L’évitement des activités ou des situations pouvant réactiver des souvenirs liés à la torture.
  • La perte d’estime de soi pour ceux qui ont l’impression d’avoir cédé et trahi, pour ceux qui se sont soumis.
  • La culpabilité du survivant : paradoxalement, les victimes de la torture. Ce sentiment de culpabilité affecte nombre de survivants de régimes totalitaires ou de génocides, ceux des camps. d’extermination nazis notamment. Les personnes  se sentent honteuses et humiliées comme des coupables. Pourquoi ai-je été épargné ? Pourquoi est-ce que je me réjouis de ce que d’autres sont morts et pas moi ? Ces sentiments de culpabilité sont un fardeau extrêmement lourd et sont quasiment impossibles à résoudre.

La torture constitue donc bien un processus de déshumanisation, de destruction de la dignité et de l’intégrité physique, psychologique et sociale de ceux qui la subissent. Elle cherche (et réussit souvent) à détruire le sentiment d’appartenance des victimes à l’espèce humaine.


[1] Bruno Bettelheim, Survivre, Laffont, 1979