Le 9 juin 2009, Ali Ziri décédait après avoir été interpellé par la police à Argenteuil. En 2016, cette affaire s’est soldée par un non-lieu définitif en France. Depuis, l’ACAT a eu accès aux éléments de l’enquête judiciaire. Huit ans après le décès de cet homme, elle publie un rapport [1] qui revient en détail sur cette interpellation et sur l’enquête judiciaire qui lui a succédé. Selon l’ACAT, cette affaire a été marquée par des violations flagrantes du droit international portant notamment sur l’usage disproportionné de la force et le manque d’indépendance de l’enquête.
Reprenant le déroulé des faits minute par minute, l’ACAT a tenté de reconstituer la soirée du 9 juin 2009, depuis l’interpellation des deux hommes à 20h35, jusqu’à l’arrêt cardiaque de M. Ziri deux heures plus tard. Examinant scrupuleusement le déroulé de l’enquête judiciaire, l’ACAT s’est ensuite intéressée aux conditions dans lesquelles celle-ci a été réalisée.
« L’examen des pièces du dossier judiciaire révèle une violation flagrante du droit international. Notre rapport questionne non seulement le caractère proportionné de l’usage de la force, mais également le caractère indépendant de l’enquête. Nous avons découvert que dans ce dossier, une partie conséquente des investigations a été réalisée par le commissariat dans lequel exercent les policiers mis en cause », déclare Aline Daillère, responsable police-justice à l’ACAT et auteure du rapport.
L’affaire Ali Ziri : rappel des faits
Le 9 juin 2009, Ali Ziri (69 ans) passe l’après-midi en compagnie d’un ami, Arezki Kerfali, âgé de 60 ans. Après avoir bu, les deux hommes prennent la route et sont interpellés par la police à l’occasion d’un contrôle routier. Menottés, les deux sexagénaires sont placés à bord d’un véhicule de police afin d’être conduits au commissariat. Durant le trajet, Arezki Kerfali et Ali Ziri se seraient ensuite montrés très agités, ce qui aurait obligé les agents de police à les immobiliser en les pliant de force, de façon à les placer tête sur les genoux et thorax compressé contre les cuisses (technique du pliage). MM. Ziri et Kerfali ont été maintenus dans cette position pendant quelques minutes, jusqu’à leur arrivée au commissariat. Une fois sur place, ils sont extraits du véhicule par plusieurs agents de police, puis placés allongés et menottés à l’intérieur du commissariat, vomissant tous deux à plusieurs reprises. Deux heures plus tard, un médecin constate que M. Ziri est en arrêt cardiaque. Placé dans le coma, il décède le 11 juin 2009.
Une enquête judiciaire est ouverte. Pour les proches d’Ali Ziri, la technique du pliage pratiquée sur le sexagénaire pendant le trajet entre le lieu d’interpellation et le commissariat est à l’origine du décès. Les avis des médecins divergent sur ce point. En février 2016, la justice française a définitivement clos le dossier, jugeant que les agents de police n’avaient fait qu’un usage nécessaire et proportionné de la force et que, les expertises médicales se contredisant, il n’est pas possible de connaître de manière certaine la cause de la mort d’Ali Ziri. L’affaire est désormais portée devant la Cour européenne des droits de l’homme.
Le pliage : un geste connu pour sa dangerosité
Dans son précédent rapport « L’ordre et la force » [2], l’ACAT décrivait les risques d’asphyxie susceptibles d’être entraînés par la technique du pliage. Plusieurs personnes sont décédées en France après l’avoir subie. Interdite dans plusieurs pays pour cette raison, elle est pourtant toujours pratiquée en France.
De l’usage proportionné de la force : un pliage pour des insultes et crachats ?
Si les policiers et gendarmes peuvent recourir à la force, ce n’est cependant que dans le strict respect du principe de proportionnalité. Dans cette affaire, les magistrats ont conclu que l’usage de la force était nécessaire et proportionné au regard du comportement « éminemment dangereux » des deux hommes dans le véhicule. Pourtant, l’examen des pièces du dossier révèle que ce comportement s’est traduit, selon les policiers, par des insultes et trois crachats, ainsi qu’une « tentative de coup de tête » de M. Ziri, geste que les magistrats reconnaissent comme étant vain « en raison de sa corpulence et de ce qu’il était menotté ».
Selon l’ACAT, la pratique d’un pliage, dont on connait les risques d’asphyxie positionnelle qu’elle peut entraîner, dans le but de faire cesser des insultes et crachats parait incontestablement abusive et disproportionnée.
Une enquête très interne et incomplète
Cette affaire révèle par ailleurs un système d’enquête défaillant, dans lequel les investigations ont été réalisées prioritairement par des pairs et n’ont pas permis de relever les déclarations contradictoires, incohérences ou incertitudes concernant le déroulé les faits. Concrètement, dans les deux jours qui ont suivi les faits, les investigations ont été réalisées au sein même du commissariat dans lequel exercent les trois agents interpellateurs. L’IGPN ne sera pour sa part chargée de l’enquête que plus de trois mois après. Ainsi, l’un des éléments de preuve matérielle majeure de cette affaire, à savoir un enregistrement de vidéo surveillance du commissariat, a été expertisé par le seul commissariat d’Argenteuil.
Bien que ce soit en son pouvoir, le juge d’instruction a pour sa part refusé de procéder lui-même aux compléments d’enquête sollicités par la famille Ziri, s’appuyant sur les conclusions des enquêteurs.
Dans ces conditions, l’enquête n’a pas permis d’éclairer les zones d’ombre majeures. Des questions demeurent. Dans quel état de santé se trouvait Ali Ziri dans les minutes qui ont suivi le pliage ? A quelle heure et comment Ali Ziri a-t-il été placé dans le fourgon qui l’a conduit à l’hôpital ?
Ces éléments, révélant une enquête judiciaire réalisée sans garantie d’indépendance effective, permettent de douter de sa conformité avec les exigences posées par le droit international.
Recommandations de l’ACAT
L’ACAT demande l’interdiction absolue de la pratique du pliage, dont les conséquences sont disproportionnées au regard des objectifs que cette technique est censée remplir.
Elle préconise également une vaste réforme du système d’enquête lorsque des faits visent des policiers ou gendarmes dans l’exercice de leurs fonctions, afin d’en garantir l’impartialité.
Elle rappelle enfin que si les membres des forces de l’ordre bénéficient légitimement du droit de recourir à la force, ils doivent néanmoins rendre des comptes à la population. L’ACAT recommande par conséquent aux autorités françaises de faire preuve de transparence sur la question de l’usage de la force par la police et la gendarmerie.
Contact presse :
Pierre Motin, 01 40 40 40 24 / 06 12 12 63 94 pierre.motin@acatfrance.fr
Notes aux rédactions :
- Le rapport « Ali Ziri : autopsie d’une enquête » est disponible à cette adresse : https://www.acatfrance.fr/public/r_aliziri-dp-bd.pdf
- Notre rapport « L’ordre et la force » paru en mars 2016 est disponible à l’adresse suivante : https://www.acatfrance.fr/public/rapport_violences_policieres_acat.pdf