Menace sur le processus de justice transitionnelle
C’est avec une profonde préoccupation que les organisations de la société civile ont suivi les travaux de la session plénière de l’Assemblée des Représentants du Peuple, tenue le 24 mars 2018 pour délibérer sur la décision de l’IVD de prolonger son mandat, ainsi que les violations constitutionnelles et légales y afférentes, notamment l’absence du quorum et l’insistance manifestée par le Président de l’ARP et certains députés à interpréter la loi organique n°53-2013 de manière à rejeter la prolongation du mandat de l’IVD.
Cette session a coïncidé avec un contexte politique tendu et marqué par l’affaiblissement de la confiance que les citoyens portaient aux différentes institutions de l'Etat qui ne cessent de renoncer à exercer leurs responsabilités par rapport aux exigences de la transition démocratique, notamment la réhabilitation des victimes de violations flagrantes des droits de l'Homme.
Le choix de la justice transitionnelle comme approche civique pour traiter les violations graves des droits humains, rompre avec la politique d'impunité, et atteindre la réconciliation nationale, est une décision commune à toutes les composantes du peuple tunisien qui a ratifié la Constitution de janvier 2014, estimant que l'avenir de la Tunisie et le bien-être de son peuple reposent sur l’atteinte d’une réconciliation nationale sans exclusive qui prend en ligne de compte le dévoilement de la vérité, la reconnaissance des violations subies par des individus, des groupes et des régions, la mise en cause des responsables, la présentation des excuses officielles des victimes, la réforme des institutions et les garanties de la non-répétition.
Réaffirmant leur engagement envers le processus de justice transitionnelle, et la nécessité de le poursuivre jusqu'à la dernière étape et de mettre en œuvre les recommandations de l’IVD comme condition sine qua non d’une rupture avec les violations graves, et soucieuses d'éviter un sérieux revers pour la transition démocratique, et de contribuer à surmonter cette crise politique qui menace le parcours de la justice transitionnelle, les organisations de la société civile soussignées ;
- expriment leur indignation envers les violations commises lors de la séance plénière du 24 mars à l'Assemblée des Représentants du Peuple qui ont conduit au vote, en l’absence du quorum requis pour la tenue d’une AG, contre la prolongation du mandat de l’Instance Vérité et Dignité,
- demandent à l'ARP de ne pas entraver la prorogation d’une période de sept mois (31 décembre 2018) de son mandat, période au cours de laquelle l’IVD a confirmé être en mesure de terminer ses travaux et de préparer le rapport final,
- demandent à l’ARP d'accélérer le comblement des postes vacants au sein de l’IVD depuis 2014,
- appellent les membres de l’IVD à laisser de côté les divergences, à renforcer la coordination et la coopération avec les diverses organisations de la société civile, et à se concentrer, dans le temps qui lui reste, sur les priorités du parcours pour achever ses travaux d'enquête et d’investigation afin de dévoiler la vérité, déterminer les responsabilités, transférer les dossiers prêts aux chambres judiciaires spécialisées en justice transitionnelle et à veiller à inclure dans son rapport final ses recommandations pour assurer la réhabilitation des victimes, conservation de la mémoire nationale, et la réforme des organes, des institutions et de la législation afin de garantir la non-répétition des violations, de rompre avec les politiques de l'impunité et d’atteindre une vraie réconciliation nationale sans exclusive.
- appellent l’IVD à appliquer la décision de suspension d'exécution prise par le Tribunal administratif relative aux membres expulsés et l’invitent à respecter les autorités judiciaires,
- appellent les autorités exécutives et judiciaires, le Chargé des contentieux de l’Etat, ainsi que tous les acteurs étatiques à respecter la loi sur la justice transitionnelle et à coopérer pleinement avec l’Instance, notamment en ce qui concerne la mise à disposition des archives du ministère de l’Intérieur et les dossiers relatifs aux procès des martyrs et des blessés de la révolution,
- appellent les différentes acteurs politiques et forces de la société civile à agir aux côtés du système de justice transitionnelle en lui apportant son soutien et en le renforçant contre les diverses tentatives visant à le faire échouer, à réformer la loi qui l’encadre, à le détourner ou à le vider de son contenu et de ses objectifs nobles, notamment une réconciliation nationale sans exclusive
- décident de multiplier les concertations et consultations en vue de concevoir des mécanismes de coordination efficaces tels que la création d’un Observatoire de la société civile pour la justice transitionnelle afin d'accompagner et d’appuyer le processus de justice transitionnelle, de suivre de près les travaux de l’Instance et de se préparer pour la poursuite des travaux qui s’enchaineront après la fin du mandat de l’IVD à savoir notamment, la mise en œuvre des recommandations qui seraient incluses dans le rapport final de cette Instance.
Les ONG et associations signataires :
- Association tunisienne de Défense des Libertés Individuelles –ADLI-
- Association Justice et Réhabilitation –AJR-
- Association Al Bawsala –Al Bawsala-
- Association Al-Karama –Al-Karama-
- Association des Magistrats Tunisiens –AMT-
- Association Tunisienne des Femmes Démocrates –ATFD-
- Association Tunisienne des Jeunes Avocats –ATJA-
- Association INSAF, Justice pour les Anciens Militaires –INSAF-
- Création et Créativité pour le Développement et l’Embauche –CCDE-
- Centre de la transition démocratique et des Droits de l’Homme –DAAM-
- Le Labo Démocratique –Labo’Démocratique-
- Lan Nensekom, association des martyrs et blessés de la révolution
- Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme –LTDH-
- Organisation Contre la Torture en Tunisie –OCTT-
- Psychologues du Monde Tunisie –PDMT-
- Réseau Doustourna –Doustourna-
- Réseau Tunisien de la Justice Transitionnelle –RTJT-
- Syndicat National des Journaliste Tunisiens –SNJT-
- Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture –ACAT-
- Avocats Sans Frontières –ASF-
- Centre International pour la Justice Transitionnelle –ICTJ-
- Fédération Internationale des ligues des Droits de l’Homme –FIDH-
- Fédération des Tunisiens pour une Citoyenneté des deux Rives –FTCR-
- Organisation Mondiale Contre la Torture –OMCT-