Assemblée générale d’Interpol : les notices rouges au service des États tortionnaires ?
La 83ème assemblée générale d’Interpol [1] se tient aujourd’hui 4 novembre à Monaco. Le ministre français de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, doit y assister. Selon l’ACAT, il est nécessaire d’engager des réformes afin d’éviter l’utilisation insidieuse de l’Interpol par des États tortionnaires à des fins de répression politique.
Ces dernières années, les notices rouges, des avis de recherche internationaux diffusés à la demande d’un État membre et vérifiées par Interpol, se sont multipliées. Entre 2008 et 2013, leur nombre est passé de 3 126 à 8 857, soit une augmentation de 183% en 5 ans [2]. L’ACAT suit plusieurs affaires dans lesquelles des défenseurs des droits de l’homme ou des personnes qui risquent d’être extradées vers la torture font ou ont fait l’objet de notices rouges abusives émises par des États tortionnaires comme la Tunisie, l’Algérie, la Russie, l’Ouzbékistan ou le Kazakhstan.
Selon Nordine Drici, directeur des programmes à l’ACAT, « L’instrumentalisation d’Interpol par les États tortionnaires doit cesser. Il est urgent que la France engage des discussions au sein de cette institution pour que soient mieux contrôlées les notices rouges. Aussi légitimes que soient les activités de lutte contre la criminalité d’Interpol, elles doivent s’opérer dans le strict respect des droits de l’homme. »
La torture est liée aux notices rouges en amont et en aval de la procédure. Dans plusieurs affaires traitées par l’ACAT, les seules preuves d’accusation – afin d’émettre ces notices – ont été obtenues sous la torture. Onsi Abichou, un ressortissant franco-tunisien, avait été interpellé en Allemagne sur la base d’une notice rouge reposant sur des aveux obtenus sous la torture d’un de ses présumés complices [3]. En aval, les notices peuvent viser à faire arrêter des personnes qui seront torturées après leur extradition.
Le statut d’Interpol interdit « toute intervention dans des questions ou affaires présentant un caractère politique, militaire, religieux ou racial ». Pourtant 2200 des 7622 notices rouges publiées sur le site internet d’Interpol fin 2010 provenaient de pays où les libertés civiles sont bafouées, selon une vaste enquête menée en 2011 sur les notices rouges [4]. Ces dernières sont régulièrement utilisées pour faire arrêter des opposants et militants. En 2012, Mourah Dhina, le directeur de l’ONG Alkarama et opposant politique au régime algérien était arrêté en France avant d’être remis en liberté dans le cadre d’une procédure de demande d’extradition lancée par les autorités algériennes pour des motifs politiques [5]. Après avoir fui l’Ouzbékistan en 2000, la défenseure des droits de l’homme Nadejda Atayeva a elle aussi fait l’objet d’une notice rouge à la demande de l’Ouzbékistan.
Les notices rouges ne sont susceptibles d’aucun recours judiciaire. Interpol n’est pas un État et ne peut donc pas être poursuivi devant une juridiction internationale. En tant qu’organisation internationale, les décisions d’Interpol bénéficient d’une immunité de juridiction. Il n’existe donc pas de possibilité pour une personne sous notice rouge de faire un recours devant une juridiction nationale, qui pourrait en juger la légalité. Pourtant, une telle notice peut porter préjudice à celui qu’elle cible de bien des façons : arrestation, extradition, risque de perdre son travail, de se voir refuser le statut de réfugié ou de retirer son visa, de voir sa réputation brisée et d’être privé de sa liberté de mouvement avec les graves répercussions sur sa vie familiale et professionnelle.
Une personne faisant l’objet d’une notice rouge a pour seule voie de recours la Commission de contrôle des fichiers d’Interpol. Cette commission veille au respect, par les organes d’Interpol, des textes régissant l’organisation, de sa neutralité politique ainsi que des droits de l’homme. Elle est notamment censée garantir le respect par l’organisation des droits de l’homme et notamment l’interdiction de la torture. Elle doit en outre veiller à sa neutralité politique afin de ne pas être utilisé comme un instrument de traque des opposants politiques. Pourtant, la Commission de contrôle connaît des problèmes de transparence, de diligence et d’impartialité dans l’examen des recours dont elle est saisie. Elle peut refuser de transmettre au plaignant les informations le concernant si l’État qui le poursuit met son véto. Elle peut même refuser de lui dire s’il fait ou non l’objet d’une notice rouge. Une procédure qui reste donc des plus opaques.
Contact presse :
Pierre Motin, 01 40 40 40 24 / 06 12 12 63 94 pierre.motin@acatfrance.fr
Notes aux rédactions :
• [1] L’assemblée générale est l’instance dirigeante suprême d’Interpol. Elle se réunit une fois par an et prend toutes les décisions importantes touchant à la politique générale et aux méthodes de travail de l’institution.
• [2] Selon le rapport annuel d’Interpol 2013, p.58 : http://www.interpol.int/content/download/25671/352508/version/4/file/INTERPOL%20Annual%20Report%202013_FR_LR.pdf
• [3] L’ACAT a saisi le Comité de l’ONU contre la torture, ce qui a abouti à l’annulation de l’extradition par l’Allemagne : http://www.acatfrance.fr/communique-de-presse/l-acat-fait-condamner-l-allemagne-par-le-comite-contre-la-torture-de-l-onu
• [4] Enquête du Consortium international des journalistes d’investigation : http://www.icij.org/project/interpols-red-flag/interpols-red-notices-used-some-pursue-political-dissenters-opponents
• [5] Lire la lettre ouverte de 11 ONG, dont l’ACAT, contre l’extradition de Mourad Dhina : http://www.ldh-france.org/France-Organisations-de-defense-de/