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Réforme de l'asile: l'humain à l'épreuve du tri

Alors que l'examen de la réforme du droit d'asile commence aujourd'hui à l'Assemblée nationale, Eve Shahshahani, responsable asile à l'ACAT, publie une tribune dans le Huffington Post sur les dangers de ce projet de loi.
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Le 10 / 12 / 2014

Il faudrait être bien inhumain pour rejeter une réforme de l'asile qui prétend simplifier les procédures, raccourcir la longue et angoissante attente des demandeurs d'asile, et offrir un hébergement et des garanties procédurales accrues et égales à tous les exilés. Malheureusement, et contrairement aux annonces du ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve, le projet de loi de réforme de l'asile actuellement en débat à l'Assemblée ne tient pas ses promesses.

Nous avons attendu ce projet avec espoir, car le système français de l'asile a en effet besoin d'être réformé. Mais le texte qui est en train d'être voté par l'Assemblée nationale ne calme pas nos inquiétudes, partagées par le Défenseur des droits et la Commission nationale consultative des droits de l'homme. Les demandeurs d'asile ne sont pas coupables de l'essoufflement d'un système qui ne respecte pas pleinement le droit européen ni les conventions de protection des droits de l'homme. L'augmentation de la demande d'asile entre 2007 et 2013 n'a rien d'exponentiel ni d'exceptionnel. Elle connaît une nouvelle fluctuation, comme il en existe depuis trente ans, au gré des crises humanitaires et géopolitiques; le chiffre de 60.000 demandes par an a déjà été atteint dans le passé.

Quand on a tout perdu, qu'on a dû fuir en urgence son pays, son foyer, quand on a déjà beaucoup souffert, il ne reste plus que cela: demander asile. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, émus par le sort des civils innocents, tous les pays signataires de la Convention de Genève de 1951 -dont la France- se sont engagés à protéger sans distinction et sans numerus clausus quiconque craint avec raison d'être persécuté dans son pays d'origine pour des motifs politiques, religieux, ethniques, ou en raison de son appartenance à un groupe social.

Convaincre qu'on risque ces persécutions en cas de retour suppose de pouvoir raconter son vécu, souvent traumatique, et ses craintes. Pour cela, nous constatons au quotidien et au plus proche des victimes que le temps est un facteur vital. Car faute de preuves écrites, cette parole, qui sort lentement et rarement de manière linéaire est souvent le dernier rempart des exilés contre les persécutions qu'ils risquent de subir en cas de retour.

Non. Si nous nous exprimons aujourd'hui en professionnels du terrain, c'est parce que le projet de loi, derrière des déclarations d'intentions inattaquables et aux apparences humanistes, est avant tout une grande entreprise de tri. Envisagerait-on, à la porte d'un hôpital, de refuser à tous les entrants le même droit à une consultation complète ? Le ministère de l'Intérieur a construit son projet de loi sur le présupposé erroné -et tout aussi dangereux- selon lequel tous les demandeurs d'asile ne méritent pas, a priori, le même degré d'attention des pouvoirs publics.

Pour accélérer les procédures, on préfère rompre l'égalité des chances. Les mesures techniques créées par ce projet de loi donneront à l'administration le pouvoir de retirer du temps et des droits à certains demandeurs d'asile avant même qu'on ait examiné leur dossier. Cette discrimination se fera sur des présomptions déconnectées de la réalité, par exemple du seul fait que des demandeurs d'asile aient été arrêtés par la police en France, ou s'ils ont brûlé ou falsifié leurs pièces d'identité, geste qui leur vaut souvent leur survie dans leur fuite. Parce qu'on a une nationalité plutôt qu'une autre, et qu'on vient d'un pays dit "sûr", ou parce qu'au guichet on semble moins crédible de prime abord, on pourra subir une procédure expéditive. Parce qu'on a déjà demandé l'asile une fois sans succès, et même si la situation a changé dans le pays, ou que des risques de nouvelles persécutions sont apparus, on se verra opposer une fin de non-recevoir. Parce qu'on n'a pas semblé assez "coopérant" (pour avoir par exemple manqué un rendez-vous) on pourra voir sa demande radiée, sans appel. C'est la présomption de fraude qui prime.

Avec ces accélérations, et même avec les meilleurs intentions, les autres acteurs de la procédure - administrations, avocats, juges - n'auront ni le temps ni les moyens d'étudier en profondeur tous les dossiers. Comment espérer être compris et cru si on n'a pas le temps d'expliquer? Ne pas laisser à un demandeur d'asile toutes les chances de raconter son histoire, c'est prendre le risque de non assistance à personne en danger. Jusqu'ici, les parlementaires semblent l'avoir oublié.

N'ayons pas la mémoire courte. Il y a soixante-dix ans, les réfugiés, c'étaient les Européens. La roue tourne, mais la question au cœur du droit d'asile perdure: celle de la solidarité humaine.

Tribune publiée à l'origine sur le site du Huffington Post.

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