Procès pour la torture de Rached Jaïdane : une parodie de justice
Il y a plus de 20 ans, Rached Jaïdane est torturé par des agents de l’Etat tunisien. Après une enquête bâclée et plus de trois ans de procès marqué par de multiples reports d’audience abusifs, la justice tunisienne rend enfin son verdict. Mais la décision tombe à l’issue d’une audience expéditive au cours de laquelle aucun témoin n’est entendu et alors que seuls trois accusés sont présents. Tous les accusés sont acquittés, à l’exception de l’ex-président Ben Ali, condamné à cinq ans d’emprisonnement. L’ACAT et TRIAL dénoncent une parodie de justice.
Rached Jaïdane est l’une des rares victimes tunisiennes de torture à avoir vu sa plainte donner lieu à un procès. Pourtant, le verdict rendu le 10 avril 2015 par le tribunal de grande instance de Tunis a contribué à anéantir les espoirs de justice nourris par les milliers de victimes qui n’ont pas encore vu leurs tortures faire l’objet d’une enquête.
« La construction d’un Etat fondé sur le droit implique que des enquêtes sur les graves violations des droits humains soient effectuées diligemment, que des procès soient conduits avec sérieux et impartialité et que justice soit rendue à Rached Jaïdane ainsi qu’aux nombreuses autres victimes. Il est grand temps de mettre un terme à l’impunité et de répondre aux attentes crées par la Révolution » insiste Philip Grant, le directeur de TRIAL.
« Le tribunal a accordé à Rached Jaïdane une indemnisation substantielle en réparation du préjudice moral et physique qu’il a subi, mais cela ne saurait se substituer à la condamnation des tortionnaires », regrette Hélène Legeay, responsable des programmes Maghreb et Moyen-Orient à l’ACAT. « Nous dérivons dangereusement vers une justice transactionnelle, mais les victimes ne sont pas à vendre. »
En juin 2011, Rached Jaïdane, ancien opposant politique, a porté plainte pour les tortures subies au cours de sa détention au secret au ministère de l’Intérieur en 1993, puis pendant ses 13 ans d’emprisonnement.
L’enquête qui a été ouverte par la justice tunisienne à la suite de la plainte a clairement manqué de diligence. Tout d’abord, lors de l’audition de Rached Jaïdane, le juge d’instruction n’a pas cherché à identifier les témoins potentiels qui auraient pu voir la victime pendant ou à l’issue de sa détention au ministère de l’Intérieur. Il n’a pas non plus entendu le témoin principal cité par Rached Jaïdane, ni le juge d’instruction qui l’a vu à l’issue de sa détention arbitraire au ministère, présentant des traces de torture, ni même le médecin de la prison du « 9 avril » dans laquelle il a été incarcéré juste après son passage au tribunal. Il n’a, par ailleurs, pas vérifié la véracité des éléments de défense fournis par les accusés lors de leur audition, notamment les alibis invoqués par certains d’entre eux.
Le magistrat a clos l’enquête le 16 février 2012 et renvoyé l’affaire pour jugement devant la chambre correctionnelle du tribunal de Tunis et non devant la chambre criminelle. Le crime de torture n’existant pas dans le Code pénal à l’époque des faits, le juge d’instruction a donc choisi de poursuivre les agents du ministère de l’Intérieur et de l’administration pénitentiaire mis en cause par Rached Jaïdane pour simple « délit d’agression », sur le fondement de l’article 101 du Code pénal, délit pour lequel ils encouraient seulement cinq ans d’emprisonnement, ce qui paraît bien faible eu égard à la gravité des sévices. Le magistrat aurait pourtant pu choisir d’autres qualifications juridiques qui auraient permis de poursuivre les auteurs des sévices pour crime et non pour délit.
De plus, après l’ouverture du procès, le 14 mars 2012, l’audience a été reportée près d’une vingtaine de fois, soit en raison de l’absence de l’un des accusés, soit à la demande d’un de leurs avocats qui essayaient ainsi de gagner du temps.
Lors de la dernière audience qui s’est tenue le 8 avril dernier, le juge a décidé de procéder au jugement, malgré l’absence de Rached Jaïdane qui était malade et n’a pas pu se rendre au tribunal. Le juge est resté sourd aux nombreuses demandes formulées par l’avocat de la victime, ainsi que par l’ACAT et TRIAL [1], concernant un complément d’enquête et la requalification du délit en crime.
- [1] Les deux organisations ont interpellé les autorités tunisiennes à de nombreuses reprises sur le dossier de Rached Jaïdane, notamment à travers les rapports Justice en Tunisie : un printemps inachevé (Justice en Tunisie : un printemps inachevé)et Justice : année zéro (Justice : année zéro), ainsi qu’à travers une pétition (http://www.acatfrance.fr/action/je-soutiens_rached_jaidane).