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MAURITANIE : LUTTE TIMORÉE CONTRE LA TORTURE

En juillet 2018, la Mauritanie été examinée par le Comité contre la torture (CAT) de l'ONU. Si les autorités envoient des signaux positifs de lutte contre la torture, dans les faits, l'application des lois et des standards internationaux se heurte à un manque de volonté politique.
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Des militaires mauritaniens procède à des exercices. Crédit : Flickr - Magharebia
Le 01 / 08 / 2018

Avril 2018. La 62e session de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) s’ouvre à Nouakchott, capitale de la République islamique de Mauritanie. Si cette rencontre peut être perçue comme le signal positif d’un enga-gement des autorités en faveur des droits de l’homme, elle ne doit pas cacher une ambivalence : le régime de Mohamed Ould Abdel Aziz reste réticent à appliquer les droits fonda-mentaux lorsque cela nuit au régime et à ses forces de l’ordre. La preuve en est l’impossibilité pour quatre défenseurs mau-ritaniens, appartenant à des ONG partenaires de l’ACAT, d’accéder et de participer à la CADHP. Parmi eux, Aminetou Mint El Mokhtar, présidente de l’Association mauritanienne des Femmes chefs de familles (AFCF), ainsi que Balla Touréet Dah Boushab, dirigeants de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA). Autre preuve de cette ambiguïté : la lutte contre la torture menée par les autorités mauritaniennes reste timorée, comme en témoigne le combat difficile d'Abdallahi Matallah Saleck et de Moussa Bilal Biram contre l'impunité.

Soyata Maiga, présidente de la CADHP, a ouvert la commission en félicitant « les progrès et les avancées législatives » en Mauritanie. En effet, depuis plusieurs années, les autorités se sont engagées dans une politique de prévention de la torture, dont l’une des avancées majeures est la création d’un Mécanisme national de prévention de la torture. Dans le même temps, les autorités mauritaniennes ont renforcé leur coopération avec les mécanismesinternationaux de protection et de promotion des droits de l'homme, notamment lorsqu’en février 2016, le Rapporteur spécial des Nations unies sur la torture s'est déplacé dans le pays. S’il a alors indiqué que la torture et les mauvais trai-tements n’étaient plus généralisés comme durant les années 1990, il a souligné l’importance de la volonté politique et de la prise de mesures urgentes pour faire appliquer les lois et les garanties fixées par la loi. Et c’est malheureusement à ce niveau qu’il existe encore une réticence des autorités mauritaniennes.

Torture routinière

Entre janvier 2016 et mars 2018, sept associations mauri-taniennes de défense des droits de l’homme, avec l’appui de l’ACAT, ont documenté quatorze allégations de torture et de mauvais traitements. Elles ont également visité les éta-blissements pénitentiaires de Nouakchott afin de s’enquérir des conditions de détention et de traitement des détenus. En mars 2018, elles ont remis un rapport confidentiel au ministère de la Justice afin de l'informer de leur constat en la matière. Elles ont également rendu un rapport alternatif au Comité contre la torture (CAT), les 24 et 25 juillet 2018, contenant 43 recommandations adressées aux autorités mauritaniennes.

Si ces associations ont tenu à écouter les détenus, c’est que la torture reste routinière dans les lieux de détention, qu’ils soient ou non officiels, et lors des transferts des prisonniers. Coups et bastonnades sur diverses parties du corps – et surtout sur la plante des pieds –, positions de contorsion douloureuses, arrachage des cheveux et des poils, menaces de torture, privations de sommeil, détention au secret et isolement dans des conditions humiliantes et dégradantes : telles sont les pratiques quotidiennes de la police nationale et de la gendarmerie lors des garde à vue, des transferts de détenus et dans le cadre d’opérations de maintien de l’ordre comme la gestion des manifestations et des rassemblements. Mal formés et peu équipés, les Officiers de police judiciaire (OPJ), placés sous la tutelle du ministre de l’Intérieur et chargés de constater les infractions à la loi pénale, sont ha-bitués à utiliser la contrainte physique ou morale dans les interrogatoires pour soutirer des aveux ou pour obtenir des informations permettant d’identifier d’autres suspects.

Victimes aux profils variés

De fait, le profil des victimes de ces tortures et mauvais traitements est assez varié. Les personnes montrant une ré-sistance, même minime, à l’autorité sont les principales vic-times, mais les ressortissants étrangers et les migrants font régulièrement l’objet de violences de la part des forces de l’ordre. Les contrôles au faciès,  les contrôles d’identité ou les vagues d’interpellation dans les quartiers à la recherche des sans-papiers sont trop souvent caractérisés par unevolonté manifeste d’humilier les victimes. Les personnes arrêtées pour des infractions de droit commun (vol, trafic de drogue) sont elles aussi soumises à la violence lors de leur garde à vue. En outre, les pratiques tortionnaires se manifestent lorsque les agents des forces de l’ordre s'inté-ressent à des affaires touchant aux sujets sensibles pour la société mauritanienne. En détention, les militants anti-esclavage de l’IRA-Mauritanie sont régulièrement maltrai-tés, voire torturés. Les négro-mauritaniens, quant à eux, sont régulièrement victimes, lors de leur arrestation ou de leur période de détention, de discriminations et d'insultes à caractère raciste. Enfin, la lutte contre le terrorisme est pro-pice à l’usage de la torture. Depuis 2003, plusieurs dizaines d’islamistes avérés ou présumés ont été arrêtés au nom de la lutte contre le terrorisme et ont systématiquement subi des tortures. Plusieurs prisonniers salafistes actuellement en prison, condamnés ou en attente de procès, ont subi de longues séances de torture durant leur détention préventive pour leur arracher des aveux de culpabilité.

La justice doit suivre

Même lorsque les faits de torture sont documentés et/ou dénoncés publiquement, les autorités judiciaires sont loin de diligenter des enquêtes systématiques afin d’établir les responsabilités individuelles pénales. Sur l’ensemble des cas d’allégations de tortures et de mauvais traitements que l’ACAT a pu documenter, aucune enquête n’a été ouverte par la justice mauritanienne. Pourtant, l’article 9 de la loi n°2015-033 prévoit que « les autorités judiciaires compétentes initient immédiatement une enquête impartiale chaque fois qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture ou de mauvais traitements a été tenté ou commis dans leur juridiction et ce même en l’absence de plainte ».

Lors des rares procès, il est courant que les tribunaux et les juges d’instruction – soumis à la pression du gouvernement et du pouvoir exécutif – refusent d’examiner les plaintes pour torture déposées par des prisonniers, considérant chacun à leur niveau ne pas être compétent en la matière. La notion de « motifs raisonnables », à la base de la décision d’ouverture d’une enquête, demeure beaucoup trop large et peut donc être sujette à des interprétations très diverses. Ceci d’autant plus que, de manière générale, les victimes de torture, qui expriment une certaine défiance voire une crainte envers le système judiciaire mauritanien, méconnaissent leurs droits et les engagements internationaux de la Mauritanie.

Le poids du politique

Normalement, des structures paraétatiques existent pour que les justiciables mauritaniens fassent valoir leur droit. Le Mécanisme national de prévention de la torture a été saisi d’au moins une affaire de cas de torture documentée par l’ACAT en octobre 2016. Jusqu’à ce jour, aucun des auteurs présumés de ces tortures n’a eu à répondre devant la justice et il est peu probable qu’il y ait une avancée, car les autorités réfutent catégoriquement ces allégations qui mettent sous pression l’appareil judiciaire du pays. L’indépendance du pouvoir judiciaire, inscrite dans la Constitution (article 89), ne résiste pas en pratique à l’emprise du pouvoir exécutif chargé de la nomination des juges, particulièrement dans les affaires politiques. De son côté, la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) ne semble pas traiter les cas d’allégations de tortures bien que son mandat l’y autorise. Enfin, les autorités mauritaniennes n’acceptent pas que des ONG les mettent devant leurs responsabilités, parti-culièrement lorsque cela vient de l’étranger. À la suite de la publication du rapport d’Amnesty International Une épée au-dessus de nos têtes fin mars 2018, le porte-parole du gouvernement mauritanien, Mohamed Lemine Ould Cheikh, a tout de suite critiqué son contenu, affirmant qu’« en Mauritanie, il n’y a pas de détenu politique. Aucun prisonnier n’y a été torturé. » Fin du débat. Enfin, pas vrai-ment : le constat réalisé par l’ACAT, avec ses propres sources, atteste là encore de pratiques tortionnaires dans le pays. La justice mauritanienne dispose désormais d’ou-tils législatifs pour faire son travail. Reste à exiger que la volonté politique suive.

3 QUESTIONS À…  Clément Boursin, responsable des programmes Afrique à l’ACAT

Qu’est-ce qui explique la persistance de la torture en Mauritanie ?

Clément Boursin : En premier lieu, l’impunité, la faible volonté politique des autorités et le peu de moyens mis à la disposition des agents des forces de l’ordre chargés d'enquêter sur les crimes de droit commun. En Mauritanie, la torture est une méthode d’enquête à part entière et ancrée dans les pratiques des forces de l'ordre depuis des décennies. Cette tolérance est entretenue par le fait qu’au sein  de la population, rares sont ceux qui sont choqués  par l’emploi de ces méthodes. Enfin, il y a aussi le peu d’intérêt de la communauté internationale,  qui est davantage focalisée sur la sécurité régionale  et la lutte contre le terrorisme.

En quoi le rapport alternatif déposé au Comité contre la torture (CAT) peut-il inciter les autorités à faire preuve de volonté politique ?

C.B : L’examen de la Mauritanie par le CAT en juillet 2018 va permettre de mettre les autorités mauritaniennes face à leurs responsabilités et de dresser un état des lieux de la situation, des avancées et des reculs depuis le dernier examen du pays en 2013.

Comment faire en sorte que les autorités mauritaniennes respectent leurs engagements internationaux ?

C.B : Il faut continuer de mettre les autorités mauritaniennes face à leurs responsabilités, que ce soit au niveau national comme au niveau international. À cet égard, l’ONU, mais aussi la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), ont un rôle majeur à jouer. Il faut également soutenir la société civile mauritanienne dans son combat pour la promotion et la défense de l’État de droit. À l’ACAT, c’est ce que nous faisons, notamment lorsque les militants envoient des cartes-action en faveur d’une ou plusieurs victimes. Mais la clef réside surtout dans la sensibilisation de la population mauritanienne, des hommes et des femmes politiques, des élus et des intellectuels : il est indispensable que tous les Mauritaniens soient convaincus que la torture est inacceptable et qu’elle ne peut continuer à être pratiquée dans un pays qui a ratifié tous les accords internationaux en la matière.


Par Clément Boursin, responsable des programmes Afrique à l'ACAT

Article issu du Humains n°06

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