Il y a 30 ans, le génocide des Tutsis au Rwanda faisait 800 000 morts
Réponses de Clément Boursin, responsable Programmes et plaidoyer Afrique de l’ACAT-France.
L'assassinat du président rwandais le 6 avril 1994 déclenche officiellement le génocide des Tutsis par des extrémistes Hutus. La commission indépendante d'enquête mandatée par l'ONU lors du génocide de 1994 au Rwanda estime qu'environ 800 000 Rwandais, en majorité tutsis, ont perdu la vie durant ces trois mois. Le génocide prit fin avec la victoire militaire et la prise du contrôle du pays par le Front patriotique rwandais.
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1. Comment le conflit au Rwanda s’est-il transformé en génocide ?
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À la fin des années 1980, alors qu’environ un million de Tutsis originaires du Rwanda vivent en exil et souhaitent retourner chez eux, des exilés tutsis en Ouganda créent le Front patriotique rwandais (FPR) avec pour objectif d’y parvenir par les armes. Le 1er octobre 1990, le FPR lance ses premières attaques au Rwanda. C’est le début de la guerre civile.
Très rapidement, les représailles contre la population tutsie font partie de la stratégie des partisans du président rwandais Juvénal Habyarimana. Des arrestations massives ont lieu ainsi que des massacres localisés. Parmi les Hutus, la peur du FPR s’enracine, attisée par une propagande de plus en plus virulente. Les « médias de la haine » se propagent. Le plus célèbre d’entre eux est la Radio-télévision libre des mille collines (RTLM), créée en 1993 et dont les programmes attisent la tension ethnique et appellent à l’élimination des Tutsis. Les milices Interahamwe sèment la peur lors des campagnes électorales du début des années 90 et vont être progressivement militarisées et structurées en forces paramilitaires.
En mars 1993, les Nations unies demande aux Rwandais de trouver un accord de paix. Les tensions montent pendant les négociations, c’est dans ce contexte qu’est créée la RTLM, afin que la pacification n’aboutisse pas.
Le 4 août 1993, le président hutu Juvénal Habyarimana et le FPR signent les accords d’Arusha, en Tanzanie, qui entérinent la fin de la guerre civile et prévoient le retour des réfugiés. Mais le 6 avril 1994, l’avion transportant le président rwandais est abattu à Kigali, la capitale du Rwanda. Dans les heures qui suivent, la garde présidentielle lance des représailles et assassinent les principaux dirigeants de l’opposition, hutus comme tutsis, favorables aux accords de paix d’Arusha.
Dès le 7 avril 1994, des barrières sont érigées à tous les carrefours stratégiques à Kigali, puis sur l’ensemble du pays. Les possesseurs d’une carte d’identité portant la mention « tutsi » sont abattus. Le génocide des Tutsis commence.
Dans l’ensemble du pays, les officiels locaux aident à regrouper les Tutsis dans des lieux permettant leur exécution. Une grande partie de la population hutue participe aux massacres au côté des milices Interahamwe. Les victimes sont principalement tuées à la machette. En 100 jours, environ 800 000 personnes sont massacrées. Le 4 juillet 1994, le FPR prend le contrôle de Kigali. C’est en gros la fin du génocide.
2. Quelle a été la réaction de la communauté internationale ?
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La défection de la communauté internationale est patente dès les premiers jours des massacres. Alors que les Tutsis sont systématiquement tués en divers endroits du pays, la communauté internationale n’entreprend aucune action concrète pour mettre un terme au génocide. Au contraire, la Mission pour l’assistance au Rwanda (MINUAR) quitte rapidement le Rwanda.
Durant trois mois, les génocidaires agissent en toute liberté. Trois pays sont particulièrement mis en cause pour leur responsabilité. La Belgique possédait le contingent le mieux entraîné et équipé de la MINUAR. Elle s’est retirée unilatéralement après le massacre de dix de ses casques bleus, le 7 avril 1994.
La France était le principal appui politique et militaire du régime Habyarimana. Elle n’a rien fait pour empêcher les tueries.
Les États-Unis ont refusé de qualifier les massacres de génocide pendant qu’ils étaient en cours pour ne pas avoir l’obligation d’intervenir, comme la Convention sur la prévention du génocide l’exigeait. Il faut attendre 1999 pour que les Nations unies admette sa responsabilité dans le génocide. Durant plus de 90 jours, les Tutsis rwandais, pourchassés, ont été seuls à assurer comme ils le pouvaient leur protection.
3. Trente ans après, pourquoi justice se fait-elle toujours attendre ?
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Au lendemain du génocide, la quête de justice est centrale dans la politique gouvernementale rwandaise. Au Rwanda, en plus des 12 000 tribunaux ordinaires créés, la justice s’appuie sur les « gacaca », tribunaux communautaires villageois se déroulant en plein air. Leur fonctionnement repose sur l’aveu public pour juger les auteurs et complices d’homicides, ceux d’autres violences et atteintes graves aux victimes, ainsi que les personnes ayant commis des infractions contre les biens. Le recours à cette forme de justice traditionnelle est promu comme un élément favorable au processus de réconciliation nationale. En tout, se sont plus d’un million d’individus qui seront jugés au Rwanda et plus de 100 000 personnes sont emprisonnées.
Les crimes du FPR n’ont de leur côté jamais été jugés par les juridictions spéciales installées dans le pays et les nouvelles autorités rwandaises écartent toute idée de mettre en place une commission vérité au Rwanda. Tout est contrôle par le FPR.
En novembre 1994, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) est créé à Arusha, en Tanzanie, pour juger les plus hauts responsables militaires et politiques rwandais accusés de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. En tout, le TPIR a jugé 75 personnes et en a condamné 61 pour génocide et d’autres violations graves du droit humanitaire. Le TPIR a officiellement achevé ses travaux en 2015.
Aujourd’hui, il y a un épuisement du contentieux juridique au Rwanda. Seuls quelques rares procès sont en cours ou à venir à l’encontre de suspects du génocide arrêtés à l’étranger et renvoyés au Rwanda. Pendant longtemps, et c’est encore le cas aujourd’hui, beaucoup de pays dont la France refusaient d’extrader des justiciables au Rwanda car la justice sur place n’est pas indépendante et les accusés ne peuvent bénéficier d’un procès équitable. Aujourd’hui, les procédures judiciaires concernant le génocide des Tutsis au Rwanda sont davantage à l’étranger, particulièrement en France et en Belgique, où des présumés génocidaires y avaient trouvé refuge en toute impunité pendant de nombreuses années.
Dans l'histoire de la justice, jamais crime de masse n’aura été autant jugé que le génocide des Tutsis du Rwanda, ni sûrement dans autant de lieux par le monde.
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