Par Mathieu Brancourt, journaliste indépendant, militant de la cause LGBT
Le 12 juin 2016, 49 personnes étaient assassinées au Pulse, une boîte gay d’Orlando. Revendiquant cette barbarie, l’État islamique expliquait alors que son combat contre l’Occident passait par la destruction d’une certaine idée du monde, dont l’acceptation et la liberté de vivre, homo ou hétéro. À l’aune de cette tuerie homophobe en Floride, d’aucuns s’interrogeaient et s’émouvaient : les gays et lesbiennes seraient-ils devenus des cibles à part entière ? Las, la haine n’a –malheureusement – pas attendu Daech pour s’en prendre aux communautés lesbiennes, gays, bi.e.s et transgenres (LGBT). Les minorités sexuelles ont été traquées, violentées et tout bonnement condamnées à la honte et la clandestinité. Notamment par les États eux-mêmes. Depuis trente ans, les homosexuels tentent de s’émanciper et réclament une lutte contre l’homophobie, voire une reconnaissance légale de leurs amours. À la clé, un véritable mouvement progressiste qui balaye les cinq continents, sans pour autant réussir à occulter les zones encore ruinées par l’intolérance, prémices d’immenses batailles à mener.
Les dessous de la carte mondiale des droits des LGBT, issue de l’état des lieux annuel de la fédération ILGA (International Lesbian, Gay, Bisexual, Trans and Intersex Association) ne sont pas reluisants. L’homosexualité reste criminalisée dans 78 pays. Huit pays et plusieurs zones contrôlées par l’État islamique la punissent de mort, qu’elle soit présumée ou avérée. Décapitation, lapidation ou pendaison, les méthodes d’exécutions, au-delà de la condamnation à mort, relèvent de la torture. C’est le continent africain et le Moyen-Orient qui concentrent la majorité des pays où la haine anti-LGBT est légale. Prison ferme ou peine capitale, ces législations homophobes pèsent sur la vie de 3 milliards de personnes. Ces trois dernières années, il y a eu des arrestations à raison de l’orientation sexuelle dans 45 pays. Et les cas de violences physiques ou supplices infligés, du commissariat à la détention, par des agents de la force publique, sont courants.
Homophobie persistante
Préférences « contre-nature », interdiction de la sodomie, acte « amoral » ou interdiction de la « propagande de l’homosexualisme » : les législations rivalisent d’imagination pour justifier les persécutions et condamnations envers les homosexuels. Leurs origines sont plurielles et intriquées. C’est sous la plume de médecins et psychiatres que s’est construite la définition initiale de l’homosexualité. Même si l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a retiré l’homosexualité de la liste des maladies mentales en 1990, l’influence d’une vision psychiatrisante de l’orientation sexuelle demeure. L’émergence du VIH/sida dans les années 1980, longtemps associée à l’homosexualité (« cancer gay »), a figé des représentations de la maladie à soigner. Encore aujourd’hui, des « thérapies de conversions » fleurissent afin de « guérir » des hommes et des femmes de leur « déviance » pathologique.
La religion textes reste aussi un socle solide pour le sentiment anti-homosexuel. Les prêches homophobes sont légions en Afrique, mais aussi en Europe. Aucun des trois monothéismes ne reconnait d’ailleurs l’union entre personnes de même sexe. Si le Pape François est à l’origine d’un certain infléchissement de l’Église catholique, (« Qui suis-je pour juger ? »), celui-ci fait davantage figure d’un vœu pieux, plutôt que d’un vrai schisme dans le rapport de la religion avec l’amour homosexuel.
De par leur différence, les homosexuels sont des bouc-émissaires tout trouvés des problèmes de la société, voire des cibles faciles pour souder un peuple par un sentiment de haine partagé. Dès lors, l’homophobie devient un outil politique, que ce soit dans un contexte de crise au sein des sociétés occidentales, qui pousse chacun à se renfermer sur sa peur du différent, ou dans un but électoraliste. C’est notamment le cas en Ouganda ou au Zimbabwe, deux pays où les autorités relancent, quand vient le temps des élections, le débat sur l’homosexualité. Selon ces chantres de l’homophobie, l’amour entre hommes ou entre femmes serait une importation, les pressions de la communauté internationale pour le respect et la fin des lois anti-gay une nouvelle forme d’ « impérialisme occidental ». Mais, curieusement, l’homophobie d’État qu’ils appliquent est issue de lois impériales, qui datent des colonies. Dans les pays anglophones, ce sont des textes datant de l’époque victorienne qui régissent l’homosexualité, notamment masculine. « Ils vont dire que l'homosexualité a été importée, mais on devrait plutôt dire que c'est l'homophobie qui a été importée », expliquait en juin dernier à Radio Canada Stephen Brown, professeur à l'École d'études politiques de l'Université d'Ottawa.
Le vent se lève
A contrario, 120 pays aujourd’hui protègent ou donnent une existence légale aux homosexuels et à leurs familles. En 1990, ils n’étaient que 77. Le quasi-consensus international sur cette question est un indicateur fort sur le chemin des droits humains. Plusieurs pays, dont la France, ont formulé des résolutions en faveur d’une dépénalisation universelle de l’homosexualité auprès des Nations Unies. Le combat du droit est indispensable, mais n’est qu’un préalable. Celui des mentalités sera beaucoup plus ardu, dans un contexte où la question des droits LGBT n’est plus une priorité géopolitique. Mais les choses bougent, lentement, grâce, aussi, à des prises de position régulières. Rien n’est impossible. On voit, grâce à l’Argentine, qu’un fort sentiment religieux des habitants n’empêche pas cet État catholique de se doter d’une des législations les plus gay friendly du monde, pour les homos comme pour les personnes trans. Ou l’Afrique du sud, qui a légalisé les unions homosexuelles, signe que le continent africain n’est pas condamné à l’obscurantisme. En attendant d’atteindre ces modèles, beaucoup attendent ce que Jean-Christophe Victor, présentateur du Dessous des cartes, anthropologue engagé et décédé fin décembre 2016, résumait en une phrase : « Foutez-leur la paix ».