Droits des femmes : le monde peut mieux faire
Le 26 septembre dernier, le roi Salman publiait un décret royal autorisant les femmes à conduire en Arabie Saoudite. Cette information rappelle à quel point l'égalité entre les femmes et les hommes reste un horizon lointain, partout dans le monde. Si la marche vers l'égalité progresse indéniablement, celle-ci se fait sous la contrainte de politiques de « discrimination positive » ou grâce à des mobilisations de longue haleine. Et les résultats sont souvent en demi-teinte.
Discriminations multiples
En 2000, les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) étaient adoptés par l'Assemblée générale des Nations unies, avec l'ambition de « promouvoir l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes ». Lorsqu'un premier bilan a été établi en 2015, il est apparu que « dans leur ensemble, les régions en développement avaient atteint la cible consistant à éliminer la disparité entre les sexes dans l'enseignement primaire ». En Asie du Sud Est, par exemple, 103 filles pour 100 garçons allaient à l'école en 2015, contre 74 filles en 1990. Toutefois, « s'il y a eu de grosses avancées dans le monde entier en ce qui concerne l'éducation primaire, il y a d'énormes disparités qui apparaissent entre les filles et les garçons à partir du secondaire et encore plus dans les études supérieures », détaille Maud Ritz, responsable des opérations du Comité ONU-Femmes France. Sur 92 pays où l'ONU a recueilli des données, 78 affichent un taux de chômage des femmes diplômées de l'enseignement supérieur plus élevé que celui des hommes ayant le même niveau de diplôme.
Naturellement, ces inégalités perdurent dans le monde professionnel : les femmes ont, certes, largement investi le milieu du travail, mais elles doivent encore affronter une discrimination « horizontale », certains métiers étant considérés comme « plus féminins » que d’autres, et « verticale », les sommets hiérarchiques restant majoritairement réservés aux hommes. À titre d’exemple, en France en 2008, les conseils d’administration (CA) des entreprises du CAC40 ne comptaient que 7,6 % de femmes, alors qu’elles représentaient 31 % des cadres administratifs et commerciaux. Depuis, la loi Copé-Zimmermann a instauré des sanctions pour les grosses entreprises comptant moins de 40 % de femmes dans leurs CA. Mesure qui était respectée par 26 entreprises sur 40 en 2016, à la veille de l'entrée en vigueur du texte.
Domination masculine
Dernier exemple de ce tableau très mitigé, la représentation des femmes en politique continue de faire défaut. « Ces vingt dernières années, les femmes ont gagné du terrain dans la représentation parlementaire », selon l’ONU. Quatre pays d’Afrique subsaharienne se situent désormais parmi les dix pays qui comptent le plus de femmes parlementaires – le Rwanda étant le meilleur élève de la région avec un taux de progression de 60 %. Cependant, dans les pays étudiés par les Nations unies, 16 % des postes de direction au sein des parlements étaient occupés par des femmes en 2015. La France, notamment, a arraché péniblement le chiffre de 38,8 % de femmes à l’Assemblée nationale, mais seulement lors des élections législatives de juin 2017. Les deux chambres du Parlement restent, de plus, présidées par des hommes. Ainsi, même quand elles se revendiquent progressistes et égalitaristes – et qu’elles ont réalisé des avancées indéniables en matière de sexisme et de misogynie – les sociétés patriarcales continuent d’être régies par des règles sociales qui assurent une domination masculine. Celle-ci se déploie de manière plus ou moins brutale selon les contextes.
L’actualité de ces derniers mois l’a prouvé : la France a encore beaucoup à apprendre pour aller vers une société où les femmes ne seraient pas désignées, harcelées et violentées en raison de leur sexe. Dans la foulée du scandale Weinstein, du nom de ce producteur américain accusé de harcèlement et d’agressions sexuelles par plusieurs femmes du monde du cinéma, des témoignages de violences sexistes, d'agressions sexuelles et de harcélement ont été publiés sur les réseaux sociaux, accompagnés des hashtags (mots clefs utilisés sur Twitter) #BalanceTonPorc et #MoiAussi. En l’espace d’une seule journée, 16 000 personnes ont raconté sur le Web les expériences qu’elles avaient vécues, allant du sifflement jusqu’à la tentative de viol, en passant par la remarque sexiste et déplacée. L’initiative visait avant tout à délier les langues à propos d’un sujet tabou. Elle aura surtout démontré à quel point les actes relevant du harcèlement ou de l’agression sexuelle sont banalisés et peuvent prendre des formes variées, dans tous les milieux que les femmes fréquentent au quotidien : l'espace public, le travail, la vie privée.
Le corps comme objet
Déjà, en octobre 2016, le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE/fh) dénonçait la « tolérance sociale » qui subsiste face aux actes de harcèlement, d’agressions, voire de viol. C’est que certains agissements – sifflements ou interpellation des femmes dans l’espace public, par exemple – ne sont pas condamnés par la loi, ni par l’opinion publique et sont davantage considérés comme des « comportements maladroits » ou, au pire, « de mauvaises blagues graveleuses ». Même certains actes illégaux bénéficient de cette complaisance : « Il semble y avoir un décalage important entre les interdits posés par la loi et le ressenti dans l’opinion de la gravité des actes commis », écrit le HCE/fh qui recommande notamment « d’adopter une approche globale qui analyse les violences de genre comme un continuum, de la sphère privée à l’espace public, du « sexisme ordinaire » aux violences sexuelles ». En clair, il s’agit de reconnaître que les blagues graveleuses, les comportements que d'aucuns justifieraient par une « spécificité culturelle » (ce fameux art de séduire à la française) ou les publicités mettant en scène des femmes largement dévêtues, découlent, à des degrés divers, du même postulat : la considération et l'appréhension du corps des femmes comme un simple objet, qui sert à évaluer l’entièreté de leur personne.
Ce processus d’ « objectivation sexuelle » (voir encadré) sert de fondement à toutes ces attitudes sexistes qui, qu'elles le veuillent ou non, participent à ce que le HCE/fh appelle une « culture du viol », dont les conséquences peuvent être dramatiques. En octobre 2016, le HCE/fh qualifiait le viol de « phénomène massif ». Entre 2015 et 2016, le ministère de l’Intérieur a enregistré une hausse de 14 % des plaintes déposées pour violences sexuelles. Pour y faire face, le gouvernement a annoncé, le 16 octobre, « un projet de loi contre les violences sexistes et sexuelles afin d’abaisser le seuil de tolérance de la société », qui visera plus particulièrement les atteintes aux mineures et le harcèlement de rue. Cette nécessité pose toutefois question : est-il normal de devoir faire appel à la loi pour que les femmes soient, enfin, considérées de la même manière que les hommes ? N’y a-t-il que le pouvoir de la contrainte qui fasse respecter les droits des femmes, qui sont avant tout des droits inhérents à tout être humain ?
Le poids du corps
Théorisée par Emmanuel Kant au XVIIIe siècle, l’objectivation sexuelle est un processus déshumanisant qui considère, évalue, réduit et/ou traite une personne – en l’occurrence, les femmes – comme un simple corps. Elle induit un rapport de pouvoir et de domination de la personne qui objective sur la victime objectivée. Cette notion a par la suite été enrichie par plusieurs féministes, notamment américaines, et considérée comme l'un des fondements des discriminations, inégalités et violences sexistes au sein des sociétés patriarcales. Ce processus d'objectivation n'est pas sans rappeler celui qui favorise les pratiques tortionnaires.
Pour aller plus loin
Objectifs du Millénaire pour le développement. Rapport 2015.
Plan interministériel en faveur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes 2016-2020.
Avis du HCE/fh pour une juste condamnation sociétale et judiciaire du viol et autres agressions sexuelles.
Présentation de l'enquête Virage et premiers résultats sur les violences sexuelles.
Par Anna Demontis, chargée de projet éditorial à l'ACAT
Article issu du dossier « Femmes : Des hommes comme les autres », du Humains n°02