Nous sommes jeudi soir, un jour de permanence de l'Association pour la Reconnaissance des Droits des personnes Homosexuelles et transsexuelles à l'Immigration et au Séjour (ARDHIS). Plusieurs fois par semaine, la mairie du Xè arrondissement de Paris accueille cette association qui accompagne les demandeurs d’asile LGBT. Cinq hommes attendent. Ils viennent d'Asie, d'Afrique ou d'ailleurs, mais ils ont tous un point commun : ils sont menacés de persécutions car leur orientation sexuelle ou leur identité de genre est rejetée, voire pénalisée, dans leur pays d'origine.
L'ambiance est calme, presque sereine. Quelques conversations, à voix très basse, tentent de se faire une place là où le silence est roi. Au fond du couloir, deux bureaux se font face. Leurs portes sont closes. Pour préserver l'intimité des discussions entre les demandeurs et les bénévoles, mais aussi pour leur permettre de raconter, en toute confiance, leurs histoires semées d'embûches. « La demande d'asile d'une personne LGBT est particulière et difficile à exprimer, explique Frédéric Chaumont, le président de l'ARDHIS. Elle concerne une intimité que la personne a toujours pris soin de dissimuler. » Alors qu'une dizaine de pays appliquent encore la peine capitale pour homosexualité, sur tout ou partie de leur territoire, on comprend vite pourquoi cacher son orientation sexuelle peut être une question de vie ou de mort. Dans le monde, 3 milliards de personnes sont menacées d’exactions LGBTophobes.
Cheminement intellectuel
En 2016, l’ARDHIS a accueilli 440 demandeurs, contre 300 pour les années précédentes. Bien que ce type de demandes d’asile reste minoritaire, « elles ont acquis en visibilité », précise Frédéric Chaumont. En tout, sur les 85 000 demandes enregistrées par l’Office français pour la protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) en 2016, elles représentaient peut-être 5 à 6 %. Dans les couloirs de la permanence, un homme, vêtu d'un pantalon orange et d'un sweat jaune et gris, arbore un grand sourire sur son visage d’adolescent. Pourtant, il ne cesse de se tordre les mains et de s’agiter. Des signes qui ne trompent pas et qui traduisent, sûrement, une certaine angoisse. C'est peut-être la première fois qu’il racontera son histoire depuis son arrivée en France. Dans ces moments-là, mettre des mots sur ce que l'on a vécu, dans une langue qui n'est pas la sienne, doit paraître insurmontable.
« L'octroi des protections se fait à partir de la crédibilité des histoires des demandeurs à deux égards : la réalité de leur orientation sexuelle et la réalité de la crainte d'une persécution en cas de retour », développe Nicolas Braun, coordinateur de l’accompagnement de l’asile. Mais face à l’OFRPA et à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), convaincre des risques de persécutions encourus en raison de sa sexualité n'est pas une mince affaire. Tout d'abord, car la loi encadre strictement ces demandes d'asile. « Il est interdit de poser des questions trop intrusives et déstabilisantes sur l'intimité de la personne », ajoute Frédéric Chaumont. Les pratiques sexuelles sont bien évidemment concernées par cette directive. « On va donc demander d'expliquer par quel cheminement intellectuel ces personnes ont acquis la conscience et la compréhension de leur homosexualité », en considérant que tout le monde, sans exception, dispose des qualités d'introspection et des capacités d’expression nécessaires pour intellectualiser sa sexualité.
« Pas de problème au Cameroun »
Les demandeurs d’asile doivent également affronter certains agents administratifs et des magistrats pas toujours formés, et empreints de présupposés. S’ils « font sûrement ce qu'ils peuvent pour éviter les préjugés », selon Frédéric Chaumont, ils sont le plus souvent « totalement déconnectés de la situation réelle du demandeur d'asile ». Nicolas Braun, de son côté, se remémore cet agent de l'OFPRA qui avait affirmé à un gay camerounais « qu'il n'y a pas de problème pour les homosexuels au Cameroun ».
À la fâcheuse tendance de certains de vouloir « plaquer » la réalité française sur celle vécue par les demandeurs d’asile dans leur pays d’origine, s’ajoutent les préjugés sur les homosexuels qui restent prégnants en France. Des agents et des juges s’imaginent avoir une idée de l’homosexuel français et de son comportement. « Cette image, ils la plaquent artificiellement sur un homosexuel qui vient d'un milieu totalement différent », détaille Frédéric Chaumont. Par exemple, marqués par l’idée reçue de l’ « homosexuel hypersexualisé », ils sont sceptiques face à un demandeur d’asile qui affirme n’avoir aimé qu’un seul partenaire dans sa vie.
Double peine
Face à toutes ces embûches, l’accompagnement des demandeurs d’asile LGBT effectué par l’ARDHIS est loin de se cantonner à la sphère juridique. Avant tout, il est humain, social et psychologique. L'ARDHIS les aide quand ils rencontrent, par exemple, des problèmes d'hébergement ou de protection sociale. L'association cherche enfin à créer du lien avec et entre les personnes, pour les sortir de l'isolement qu'ils connaissent une fois arrivés en France. « Ils retrouvent l'homophobie qu'ils ont fuie, soit au sein des communautés, soit au sein des sociétés européennes, détaille Nicolas Braun. Ils ont donc du mal à s'ouvrir aux autres. »
Croire qu'en quittant leur pays, ces demandeurs d'asile échapperont pour de bon à l'homophobie relève de l'utopie. En France, la plupart sont obligés de vivre à l'écart de leur communauté ou, s'ils veulent y rester, doivent continuer à cacher leur orientation sexuelle. De plus, dans une société française où l’homophobie est toujours d’actualité, les demandeurs ne rencontrent pas toujours la tolérance et le respect qu'ils sont venus chercher. À l'heure où les sociétés en crise ont besoin de boucs-émissaires et manifestent un désir de repli sur soi, nul doute que les demandeurs d'asile LGBT sont menacés d'une double peine.