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« Chasse au renard » en France

Depuis 2014, la Chine mène une chasse à l’homme dans le monde entier pour rapatrier ses ressortissants accusés de corruption ou de fraude. Tous les moyens sont bons : les demandes d’extradition officielles, mais aussi les opérations secrètes.
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Crédit : Carole Hénaff pour ACAT.
Le 09 / 11 / 2017

Baptisées Skynet ou Fox Hunt (« chasse au renard », en français), des opérations d’envergure ont été mises en place par la Chine pour ramener ses fugitifs économiques au pays. Sous  leur forme officielle, ce sont des demandes d’extradition. Mais il existe également des opérations clandestines : des agents secrets chinois entreraient comme touristes sur le territoire du pays concerné, localiseraient le suspect et tenteraient par tous les moyens de le forcer à rentrer en Chine. Intimidations musclées, menaces et représailles sur la famille restée au pays… Impossible de connaître avec précision quelles mesures coercitives sont employées, tant le silence et l’opacité règnent. Pékin se targue d’avoir récupéré au moins 3 000 suspects depuis 2014. Ces dernières années, le Canada et les États-Unis se sont insurgés contre ces agissements illégaux et le mépris chinois à l’égard de leurs lois de coopération judiciaire.

«Des policiers chinois viennent opérer sur le territoire français»

La France a également été visée par ces opérations secrètes, alors même qu’elle a signé un traité d’extradition avec Pékin, censé régir le retour en Chine des suspects recherchés. En mars 2017, les diplomates français ont découvert que notre territoire avait ainsi été l’objet, à son insu, d’au moins une intervention par un communiqué publié sur le site de la Commission centrale d’inspection disciplinaire, le bras anticorruption du Parti communiste chinois. Celui-ci se réjouissait d’avoir « rapatrié » Zheng Ning, accusé de fraude, qui avait fui en France en 2014.

Problème : ni le ministère des Affaires étrangères, ni le ministère de la Justice, ni le ministère de l’Intérieur n’avaient été sollicités, ni même informés par la Chine de son intention de récupérer ce suspect, qui faisait l’objet d’une notice rouge  (message d’alerte international qui demande la localisation et l’arrestation d’un individu recherché) auprès d’Interpol. « Ils pouvaient faire une demande d’extradition, ils ne l’ont pas faite. C’est très problématique », expliquait une source du journal Le Monde au printemps dernier. « L’idée que leurs équipes de police viennent opérer sur le territoire français est totalement inacceptable, il est impensable qu’on se laisse faire. » Pour autant, lors de plusieurs échanges sur ce dossier entre l’ACAT et des diplomates à la suite de cette affaire, c’est le silence radio du côté du quai d’Orsay.

Une épine dans le pied de la diplomatie

Les questions d’extradition étaient déjà épineuses pour la diplomatie française.  La Chine a demandé pendant six ans qu’un traité d’extradition soit passé avec la France, qui refusait en raison de garanties jugées insuffisantes en matière de respect des droits de l’homme. Peu de pays occidentaux ont accepté de s’engager sur ce terrain. En Europe, six États, dont l’Italie, le Portugal et l’Espagne, se sont ainsi liés à l’Empire du Milieu. L’Allemagne, et les « five eyes » du renseignement (États-Unis, Royaume-Uni, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande) refusent tous un tel accord, invoquant le non-respect de l’État de droit en Chine.

Pourtant en 2007, Paris a finalement accepté de signer. Les organisations de défense des droits de l’homme ont vivement alerté sur les risques de cet accord bilatéral. Le Parlement a longtemps repoussé l’examen du texte, s’inquiétant à son tour pour les droits des suspects en cas de renvoi. Il l’a finalement ratifié en 2015 en excluant le rapatriement dans le cas d’affaires politiques et celles passibles de la peine de mort. Aujourd’hui, les autorités françaises arguent qu’elles ne peuvent héberger les malfrats chinois qui se réfugient dans l’Hexagone. Surtout, Paris a besoin de Pékin en matière de coopération économique et anti-criminalité.

Gêne et silence 

L’ACAT a suivi de près les premières extraditions qui ont eu lieu en 2016 et 2017 de la France vers la Chine. Elle a alors exprimé ses préoccupations sur les risques de torture et l’absence de procès équitable. Après la première extradition en septembre 2016, la diplomatie indiquait que le prévenu avait consenti à son extradition et qu’il ne s’agissait pas d’une affaire politique. Elle assurait avoir reçu des assurances diplomatiques et qu’elle suivrait de près son cas une fois en Chine, en menaçant de bloquer les extraditions suivantes en cas de manquements graves.

Mais comment s’assurer du consentement d’un individu qui peut avoir subi des menaces et des pressions sur lui ou sa famille ? Quelles assurances la France a reçues d’un pays dont le système judiciaire n’est pas indépendant, qui ne garantit pas les droits de la défense et qui s’appuie systématiquement sur des aveux, ce qui favorise le recours à la torture ? Comment définir des affaires de crimes économiques qui ne seraient pas « politiques », et donc extradables, dans un contexte de purge politique menée par les autorités chinoises (voir encadré) ? Comment s’assurer de la protection des droits fondamentaux d’une personne qui disparaît dans un système hors de tout contrôle judiciaire ? Comment, enfin, suivre le cas d’une telle personne extradée, alors que les autorités chinoises ne laissent aucun gouvernement étranger accéder aux fugitifs rapatriés qui, eux, ne peuvent voir ni leur avocat, ni leurs proches ?

Face à toutes ces questions, peu de réponses des autorités françaises. Juste une grande gêne. Pourtant en 2017, la France a autorisé une nouvelle extradition d’une femme d’affaires accusée de fraude par Pékin. La Cour de cassation a validé l’extradition en juillet 2017. Interrogé par l’ACAT sur la prise d’un décret d’extradition par le gouvernement en vue de son renvoi, le Quai d’Orsay oppose toujours le même silence : « Nous ne pouvons pas communiquer sur des affaires individuelles. »

La Chine en croisade contre les fugitifs

Depuis 2013, Pékin mène une purge politique en Chine et à l’étranger, sous couvert de lutte anti-corruption. Elle prétend ainsi s’attaquer aux fugitifs économiques coupables de corruption ou de fraude. Si la lutte contre les infractions économiques est légitime, elle est ici instrumentalisée à des fins politiques par un président chinois, Xi Jinping, qui cherche uniquement à faire taire ceux qui le fragilisent. Au cœur de cette croisade, le système de détention arbitraire du Shuanggui est placé hors de tout contrôle judiciaire. Les personnes suspectées sont détenues dans un lieu secret, placées à l’isolement, n’ont pas accès à leur avocat, ni à leurs proches et sans limite de temps. Les quelques détenus qui en sont sortis ont certifié qu’ils avaient été victimes de tortures.


Par Christine Laroque, chargée des programmes Asie à l'ACAT

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