Bahreïn
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Abécédaire de la torture

Depuis le début de la vague de protestation populaire en 2011, la torture a été officieusement érigée en mode de gestion du pouvoir au Bahreïn.
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Crédits : AFP / Mohammed Al-Shaik
Le 07 / 04 / 2014

Depuis le 14 février 2011, le Bahreïn est en proie à une vague de protestation populaire revendiquant le respect des libertés, l’instauration de la démocratie et la fin de la discrimination exercée par la minorité sunnite au pouvoir à l’encontre de la majorité chiite. Échaudé par les exemples tunisien, égyptien et libyen, le gouvernement s’est immédiatement livré à une répression féroce pour faire taire ses opposants.

Déchéances de nationalité, licenciements, arrestations arbitraires, dispersions musclées de manifestations sont devenus monnaie courante au Bahreïn. En 2013, au moins 650 personnes simples manifestants, défenseurs des droits de l’homme, opposants politiques et autres personnes considérées comme une menace pour le régime ont été condamnées en raison de leur participation présumée au mouvement de protestation. Parmi elles, nombreuses sont celles qui ont été torturées pour leur extorquer des aveux et les punir de leur activisme supposé. En trois ans, la torture a été officieusement érigée en mode de gestion du pouvoir à part entière. Qui torture qui ? Où ? Comment ? Pourquoi ?

Voici quelques clés d'entrée dans le système tortionnaire du Bahreïn.

C comme Criminal investigative Department (Département d’enquêtes criminelles – CID) :

Le CID est un département du ministère de l’Intérieur. Les personnes soupçonnées de crimes graves et arrêtées par les agents du CID sont généralement conduites dans les locaux de ce département ou dans un centre de détention provisoire situé sur une île, surnommée « Dry Dock », où elles sont le plus souvent maltraitées, voire torturées. Naji Fateel, blogueur et membre de la Société bahreïnie de la jeunesse pour les droits de l’homme (Bahrain Youth Society for Human Rights) est l’un des nombreux critiques du régime à pouvoir témoigner de l’extrême brutalité des agents du CID. Arrêté le 2 mai 2013, il a été conduit dans les locaux de ce département et soumis à plusieurs formes de torture pendant les trois jours de sa détention : simulacre de noyade, décharges électriques, coups répétés sur plusieurs parties du corps, suspension, privation de sommeil, menaces, insultes… Le 29 septembre 2013, il a été condamné à 15 ans de prison aux côtés de 49 autres accusés en raison de sa participation au soulèvement populaire1.

E comme Enfants :

Les mineurs sont loin d’être épargnés par la répression violente menée par les forces de sécurité bahreïnies. Parmi les derniers exemples en date, celui du jeune Salman Mahdi Salman, âgé de 13 ans, est éloquent2. Suspecté d’avoir participé à des manifestations anti-régime, le jeune garçon a été arrêté dans la rue le 11 août 2013. Conduit au poste de police du quartier et libéré au milieu de la nuit, il a de nouveau été arrêté le lendemain et placé en détention dans un centre pour mineurs. Lorsque sa famille a pu lui rendre visite quelques jours plus tard, Salman leur a raconté qu’après son arrestation, il avait été interrogé et giflé pour le faire avouer que, lors de son arrestation, il était cagoulé et portait un cocktail Molotov et un briquet. Le 10 septembre, il a été libéré en attendant son jugement pour participation à un rassemblement illégal, à une émeute et pour attaque contre les forces de sécurité. Depuis le début du soulèvement populaire, des dizaines de mineurs ont ainsi été arrêtées pour leur participation présumée à des manifestations. Ils sont souvent maltraités, voire torturés, avant d’être relâchés. D’autres sont contraints de signer des aveux utilisés ensuite dans le cadre de poursuites judiciaires.

I comme Impunité :

Le 29 juin 2011, le souverain bahreïni a adopté un décret portant création d’une Commission d’enquête indépendante bahreïnie (BICI) chargée d’enquêter sur les événements qui se sont produits au Bahreïn en février et mars 2011. Dans son rapport publié en novembre 2011, la BICI dresse un bilan sans complaisance de toutes les violations graves des droits de l’homme commises par le gouvernement. Elle conclut notamment à l’existence d’une pratique systématique de mauvais traitements à l’encontre d’un grand nombre de détenus, mauvais traitements qui sont, dans de nombreux cas, constitutifs de torture. Malgré la publication du rapport et les engagements du roi à mettre en oeuvre les recommandations du rapport, l’impunité demeure quasi-totale. Des centaines de victimes de torture ont déjà été condamnées sur la base d’aveux forcés, malgré leur dénonciation des sévices devant les tribunaux. La très grande majorité des plaintes n’est pas instruite et les rares qui le sont donnent lieu à une enquête biaisée et à des condamnations dérisoires. Ainsi, le 22 octobre 2012, la justice bahreïnie a acquitté une policière poursuivie pour torture et mauvais traitements exercés en mai 2011 à l’encontre de Nazeeha Saeed, une journaliste bahreïnie correspondante de France 24. Les autres agents mis en cause par la journaliste n’ont même pas été poursuivis. Plus récemment, le 1er juillet 2013, la justice bahreïnie a acquitté le lieutenant-colonel Mubarak Bin Huwail, accusé de tortures par plusieurs des professionnels de santé ayant subi des sévices après leur arrestation en 20113. Quelques jours après cette décision, le Premier ministre bahreïni lui a rendu une visite filmée pour le remercier pour sa patience et son travail. Enfin, en septembre 2013, les agents qui avaient torturé à mort Ali Saqer dans le centre de détention de Dry Dock en 2011 ont vu leur peine d’emprisonnement réduite de dix ans à deux ans en appel.

J comme Journalistes :

Particulièrement soucieux de sa réputation sur la scène internationale, le royaume dépense chaque année des millions pour engager de grands cabinets de relations publiques occidentaux chargés de promouvoir son image. En parallèle, il n’hésite pas à recourir à une violence extrême pour faire taire les critiques émanant de l’intérieur du pays. Les journalistes qui relaient les voix dissidentes et rapportent les exactions commises par le régime sont, à cet égard, considérés comme une menace particulièrement dangereuse pour la pérennité du pouvoir. Ce dernier tente de les museler en leur faisant subir le même sort que les nombreuses victimes dont ils se font les porte-voix. La nuit du 26 décembre 2013, Ahmed Fardan, photographe pour plusieurs agences internationales, a été arrêté sans mandat à son domicile par des membres de l’Agence de sécurité nationale. Conduit au centre d’interrogatoire du CID, au sein de la prison de Dry Dock, il y a été frappé au point d’avoir deux côtes fracturées et de perdre connaissance. Il a été libéré le 9 janvier suivant, mais demeure poursuivi pour « tentative de participation à un rassemblement illégal », en référence à une manifestation qu’il voulait couvrir en tant que journaliste.

Q comme Quatrième cour criminelle :

Depuis sa création le 10 juillet 2013 pour juger les affaires dans lesquelles sont poursuivis les opposants politiques présumés, cette cour n’a cessé de s’illustrer par ses nombreuses violations du droit à un procès équitable4. Elle est présidée par le juge Ali al-Dhahrani qui a précédemment officié au sein de la cour de sûreté de l’État, créée par le roi après le début du soulèvement populaire en 2011, pour juger les détracteurs du régime. Après avoir condamné de nombreux défenseurs des droits de l’homme, opposants politiques, manifestants ou encore médecins à de lourdes peines à l’issue de procès inéquitables, cette juridiction d’exception a été dissoute sous la pression internationale. Mais elle est finalement réapparue sous les traits de la quatrième cour criminelle dont le président est le fils du président du parlement bahreïni, un fidèle du roi. Depuis sa création, ses magistrats se sont rendu coupables de nombreuses violations des droits de la défense : le refus de la publicité des audiences, l’obstruction à la communication des preuves aux avocats des accusés, la présentation des accusés comme coupables dans les médias avant même leur jugement et, enfin, la prise en compte d’aveux obtenus sous la torture sont au nombre des pratiques régulières de la quatrième cour qui en font un redoutable instrument au service du pouvoir.

S comme Soutien de la communauté internationale :

Le système répressif mis en place par le régime bahreïni pour assurer sa pérennité doit enfin beaucoup de son efficacité au silence complice de la communauté internationale. Certes, des critiques ont été émises par plusieurs États à l’encontre de la monarchie, notamment à l’occasion de l’examen de la situation des droits de l’homme dans le pays par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies en 2012. Cependant, aucune pression diplomatique sérieuse n’a été mise sur le royaume, au nom de l’intérêt économique et géopolitique du Bahreïn. Le pays est riche, ami intime de l’Arabie saoudite et surtout ennemi de l’Iran, son proche voisin. Les États-Unis y ont installé une base militaire afin de pouvoir surveiller et riposter en cas d’attaque de la République chiite. Malgré les exactions commises par les forces de sécurité, des pays tels que la Corée du Sud, l’Allemagne, les États-Unis, le Royaume-Uni ou encore la France continuent de leur vendre des armes utilisées à des fins répressives et qui ont déjà fait des dizaines de morts et des centaines de blessés5.

Hélène Legeay, responsable Maghreb et Moyen-Orient à l'ACAT

1. ACAT, Bahreïn : Un défenseur des droits de l’homme condamné sur la base d’aveux forcés, Appel urgent 43, 21 octobre 2013. 2. Amnesty International, Bahrain: Boy aged 13 released on bail, Action urgente, 20 septembre 2013. 3. ACAT, Bahreïn : condamnation sur la base d’aveux forcés, Appel urgent 44, 31 octobre 2011. 4. Bahrain Center for Human Rights, The Fourth Criminal Court: A Court Not Serving Justice and Used as a Tool for Political Vengeance, 23 septembre 2013. 5. Voir les études réalisées par l’organisation Bahrain Watch, https://bahrainwatch.org/.

Cet article est extrait du n° 325 du Courrier de l'ACAT.

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